Texte publié il y a vingt ans dans le numéro 287 de la revue CREE Architecture Intérieure
Le logement n'est plus au centre de la réflexion architecturale, comme il le fut entre les deux guerres ou sous l'impulsion du rationalisme italien des années 70 ─période où l'on établit la nécessité d'articuler les typologies du logement avec la morphologie urbaine pour éviter la perte de sens et de forme à la ville. Cette nécessaire articulation a secrété une perversion en rendant la typologie dépendante de la morphologie; ce qui se justifiait alors, quand les nécessités contextuelles étaient importantes, cesse de l'être aujourd'hui, surtout avec l'apparition des figures urbaines minimalistes. En Hollande, où les coûts de construction sont très bas et où les réglements interdisent tout pont thermique, le pays produit des logements recouverts d'une peau légère. Dénués de force tectonique, ils recourent à des subtilités graphiques pour s'en tirer; ces subtilités dont la mode raffole, car elles maintiennent l'illusion de nouveauté. Nous assistons ainsi à l'apparition de figures urbaines dénuées de complexité qui imposent leur banalité et leur pauvreté spatiale à des logements-figures et se couvrent de fenêtres espacées qui ajoutent au banal l'ennui, ou, pire, transforment toute paroi extérieure en surface de verrière rendant conflictuel l'usage intérieur. S'y ajoute le désarroi lié aux préoccupations sécuritaires dues au terrorisme et aux violences urbaines qui repoussent les projets vers des îlots protégés."
En vingt ans, la France a fait du logement social un laboratoire qui a reconstitué une culture architecturale.
Dès les années 70, la France a fait du logement social la base de son laboratoire d'architecture. Après la période des grands ensembles, où la quantité était autant un objectif que la modernisation, le pays réintroduisait du sens dans sa production de logements; de l'urbain et de la qualité architecturale. Lorsque la gauche arrive au pouvoir, au début des années 80, elle est privée de la plate-forme légitime: le social, car le logement est déjà traité. Au lieu de le porter vers des horizons nouveaux, elle se laisse tenter par des programmes d'architecture objet, dont l'image contamine le logement.
Progressivement, tous les excès de l'architecture d'auteur et des techniques publicitaires ont envahi le logement en se surajoutant à la prédominance de la morphologie urbaine. C'est très grave, car les qualités essentielles du logement sont sa pertinence sociale et sa fonctionnalité..., seule garantes de sa dignité.
La violence urbaine interdit tout signe de convivialité, au détriment de l'habitabilité.
Nous sommes confrontés à une nouvelle difficulté: celle de maîtriser les déséquilibres liés au chômage. Une dizaine de chômeurs suffisent à déstabiliser le corps social d'un immeuble? Dès lors, ce que nous créons pour favoriser la convivialité entre voisins inquiète les maîtres d'ouvrage. Si ce phénomène s'accentue, le logement en tant que logique collective risque l'interdit, et la sécurité risque de devenir la préoccupation majeure de l'architecte. C'est antinomique avec l'attitude prospective de notre travail, centre sur la liberté de la pratique spatiale.
La procédure du concours ne convient pas au logement
Curieusement, depuis que l'on a imposé la procédure des concours, moi ─qui suis un homme de logement─ je n'ai plus d'opérations à faire en France. On ne pense plus à moi pour des projets urbains. Un concours pour des logements a peu de sens. La complémentarité amicale avec les maîtres d'ouvrage sociaux me semble très importante..., car les qualités auxquelles ils sont attentifs sont difficilement appréciables pour être jugées dans un concours, où l'image globale, facile à comprendre prime sur toute subtilité, sur toute qualité typologique.
Les Français donnent l'impression que la France est un pays en train de se défaire... Au contraire, il se fait très bien
La période est dure, mais le logement bénéficie désormais, à coûts abordables, de remarquables acquis techniques: variété et performances des produits verriers et des menuiseries métalliques, taille des radiateurs, mobilité des cloisons, protections acoustiques et thermiques performantes, fines et légères. Dans le logement, il ne faut pas se tromper sur ce qui est ou non permanent. A titre d'exemple, les banches de béton garantissent l'étanchéité entre les cellules d'habitation tout en accordant à la façade une autonomie pour jouer avec le contexte.
Le futur du logement est indissociable de l'idée d'une bouteille autonome dans son casier. On sait désormais que l'on ne peut industrialiser que les parties assujetties à l'évolution des techniques, c'est à dire rien qui soit essentiellement lié à la forme du logement.
Les progrès technologiques et médiatiques introduisent des modifications du cadre de vie. Les premiers par leur capacité à réduire, à miniaturiser ─d'où un surplus à venir d'espace─ et les seconds, parce que l'utilisation des espaces change: le numérique modifie la notion de stockage; la motorisation des éléments du bâtiment autorise la ventilation ou l'éclairage des pièces "à la carte". Les espaces ne seront plus uniquement fonctionnels; les habitants les géreront de façon ludique, voire émouvante; il va falloir offrir des murs peints, vides, mats, actifs, poreux, lisses, permettant leurs modifications sensorielles ou les projections d'images, virtuelles notamment...
Mais il faut savoir que si la société continue à se préoccuper si peu de valeurs humaines honorables, telles que la solidarité, le partage et la générosité, le logement ne peut pas fleurir.
Toutefois, quel que soit le futur du logement, c'est lui qui devra faire la ville. Quelles que soient les défaillances du logement, la ville se doit d'être belle et de continuer à être le lieu où se mélangent le familier et l'inattendu. Elle se doit d'être attractive notamment pour la valeur économique majeure de son futur, le tourisme.
L'idée de Corbu selon laquelle la maison est un palais induit que l'architecture entre par les fenêtres comme du soleil. Nous sommes au cœur d'un moment magnifique comparable aux années 30 ─où l'on doit faire des palais pour des gens qui, du fait de la raréfaction du travail et de la miniaturisation technologique, vont avoir plus de temps à vivre, et donc une exigence d'architecture, car celle-ci assurera le besoin d'intériorité tandis que la ville satisfera celui du relationnel.
Le bâtiment perméable est un progrès par rapport au bâtiment linéaire
Si l'on veut admettre que l'immeuble-villa résume le mieux l'idée d'une maison comme palais du domaine collectif, mes recherches essaient de concrétiser ou de faire évoluer les concepts dans la forme de l'édifice (morphologie) et dans celle du logement (typologie). Trois orientations m'apparaissent clairement: l'édifice perméable, qui tente de rendre transparent une partie du bâtiment linéaire, thème développé depuis Chambéry (1983), Rotterdam (1988), la Haye (1995), et construit en partie à Colombes en 1995. Simultanément, la typologie maigre permet des logements à triple orientation qui donnent une forme "libre" au bâtiment (voir mon projet de Groningue 2, de 1992); et la maison urbaine dense, issue d'un expérience personnelle: le triplex, favorisant les capacités d'adaptation aux différents modes de vie et aux immeubles de grande hauteur (cf. mes projets pour le Plessis-Robinson en 1991, et Boulogne en 1987). Dans le logement vertical, la double hauteur, qui constitue la centralité dominante du duplex, apparaît plus normale, car elle dilate et qualifie une spatialité globale.
Ces trois directions me semblent poser la question du logement aujourd'hui en attente de jours meilleurs.
Propos recueillis par Christine DESMOULINS
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Veuillez joindre votre adresse email, SVP.
Sírvase dejar su correo electrónico si desea una respuesta, por favor.