TABLE-RONDE A PARIS VAL DE SEINE 25-04-2019



La table-ronde a réuni, dans l'assistance, bon nombre d'anciens, d'up7, d'up8 et de Belleville.
A la table:
photo Marcela Espejo
Alison GOREL LE PENNEC, Laurent TOURNIE, Michel BOURDEAU, Jean-Baptiste MINNAERT, Emmanuel DELABRANCHE, Jacky NICOLAS et Jean MAS


A.G.L. prépare une thèse de doctorat sur l'enseignement de Ciriani suivie par Jean-Philippe Garric
L.T. a suivi les cours de Ciriani à up8 de 1984 à 1986, puis a rejoint l'agence en 1987
M.B. a suivi les cours de Ciriani à up7 de 1975 à 1977 et à up8 de 1978 à 1983
J.B.M., directeur du Centre André Chastel, encadre un doctorat sur l'oeuvre de Ciriani
E.D. a suivi les cours de Ciriani à up8, puis enseigné auprès de lui à Belleville
J.N. a travaillé aux côtés de Ciriani en agence de 1982 à 1995
J.M. a suivi les cours de Tastemain, puis de Ciriani à up7; il co-dirigeait la revue dupé à up7

La soirée débuta avec une introduction de Jean-Baptiste Minnaert, moderateur, qui présenta les membres présents à la table.

Voici les textes de préparation des participants (dans l'ordre d'arrivée chez nous) :

1)  Jacky Nicolas fut le premier à parler:


LIBRES PAROLES



Un parcours à pas mesurés sur le chemin de la connaissance



Tout a débuté pour moi ce fameux jour où j’ai découvert les logements sociaux de Noisy-le-Grand dans une publication et où j’ai décidé de prendre mon courage à deux mains pour écrire à Henri CIRIANI et lui faire part de mon admiration pour ce projet.

Sa réponse n’a pas tardé, avec le message suivant sur une carte de visite : « Venez casser la croûte ce samedi, je serai à l’agence ».

Lors de cette première rencontre, découverte immédiate d’un personnage, comme l’on dit « haut en couleurs », avec un visage sculpté en ombre et lumière, un charisme foudroyant, une voix forte, une élégance vestimentaire naturelle sans recherche d’effets, de belles mains que j’ai remarquées lors de l’examen très attentif du contenant de mon dossier, plutôt que du contenu.


En effet, j’ai été sélectionné principalement sur la parfaite exécution du coffret et accessoirement sur la maîtrise du dessin. CIRIANI recherchait plutôt à l’époque, avouant sa maladresse dans ce domaine, un assistant maîtrisant la découpe du carton pour les maquettes, afin de lui éviter de se couper un doigt.


« Ici, mon cher ami, me dit-il, on se tutoie sans distinction de hiérarchie », formule infiniment plus amicale que celle de LE CORBUSIER à Charlotte PERRIAND : « Ici, on ne travaille pas dans la dentelle » !


CIRIANI ayant discerné chez moi certaines aptitudes dans le domaine du mobilier, la première mission qui m’a été confiée a été de dessiner les modules des bibliothèques pour l’atelier à l’A.U.A. et qui trouveront par la suite leur juste place dans les diverses agences successives.


A ce titre, je rappellerai que j’ai vécu un moment assez singulier derrière l’un de ces modules, dans l’agence de la rue de Bourgogne. Un beau jour, un confrère de passage, plus curieux que les autres, se penche pour regarder l’envers de ce meuble et me découvre en s’exclamant : « Eh CIRIANI, je ne savais pas que tu avais un assistant caché que je n’avais encore jamais vu ! ».


Cette situation, sous un certain aspect je dois dire, ne me déplaisait pas tout à fait car elle m’offrait le luxe de travailler adossé, moi aussi, à une paroi et d’être protégé à ma droite par le dos du meuble me trouvant de ce fait à l’intérieur d’une équerre protectrice.


Toujours est-il que cet isolement a été rapidement interrompu par le déplacement du meuble pour me permettre de retrouver le travail en équipe.



Cuisine de l’Hôpital Saint-Antoine

Ma période d’essai, sorte de mise à l’épreuve, a connu un grand moment d’effroi quand il m’a fallu, avec mon petit savoir de l’époque, apporter des départs de réponses pour l’installation du programme sur le concours de la Cuisine de l’Hôpital Saint-Antoine.


Après m’avoir laissé dans la détresse la plus complète durant un mois, CIRIANI s’approche de ma planche et me dit ceci :

-       Tu as, implanté trois circulations verticales dans une situation triangulaire et cela est toujours bien pour desservir un programme dans un carré.


-       Le regroupement de la technologie dans un volume adossé au pignon voisin, c’est la bonne solution, mais bien sûr plutôt derrière des claustras en béton avec un accès à cette tour à partir d’un escalier extérieur en balcon sur la rue, dans le débord autorisé de 1,20m.


-       L’implantation de la salle de détente dans un cylindre est à sa bonne place, mais à voir plutôt dans une forme en piano traitée en pavés de verre, avec des fenêtres en bandeau horizontal pour la vue sur l’extérieur.
Devant mon inquiétude de ne pas avoir trouvé de réponse pour satisfaire le gabarit urbain sur la rue de Cîteaux, CIRIANI me dit : « Pas de problème, on va installer une poutre à la hauteur réclamée par le concours, qui va abriter le cheminement des tuyaux et dessiner une grande fenêtre urbaine. »


J’ai compris ce jour là que je venais de recevoir mon premier cours d’architecture par un grand professeur sur l’espace 30 x 30, que j’allais découvrir plus amplement par la suite.

A l’Atelier CIRIANI, je découvre que le travail sur le plan, la coupe, la gestion des pleins et des vides intérieurs, la composition des façades est brassé d’un seul tenant et jamais au coup par coup sous forme fragmentée et donc additionnelle, rejoignant la problématique de Donald JUDD : « Oui, l’important c’est la totalité, le gros problème est de garder le sens de la totalité de la chose. »


La géométrie est sous-jacente dans tout projet de CIRIANI. J’ai toujours les souvenirs dans mon dos, du bruit du glissement des équerres sur le calque venant buter sur la règle parallèle de la planche et du grattement de la lame de rasoir souvent en action sur le calque 110 grammes mis à l’épreuve des limites de sa résistance.

J’affirme encore aujourd’hui que cela correspond à une véritable expérience.


« Ici, on ne jette rien » se plaît régulièrement à dire CIRIANI. Le calque d’étude en rouleau est interdit pour éviter de lui faire connaître, dans son déroulement, sa triste fin dans la poubelle du dessinateur.


Dessiner, c’était auparavant accepter de perdre quelques dixièmes de vision en exécutant le magnifique hachurage très serré des ombres, toujours à 45°, au Rotring 0,13.


J’ai compris peu à peu que la verticale trouve sa raison d’être par rapport à l’horizontale, que l’horizontale au sol, ou à 1,60m à la ligne des yeux, ou à l’acrotère d’un bâtiment n’a pas la même résonnance en termes de présence, de poids, de sens et, aussi, la différence entre proportionnement et dimensionnement qui n’est pas toujours facile à aborder au départ. On pense en effet, trop souvent à tort, qu’il s’agit de la même chose.


Je sais que les projets de CIRIANI retiennent, du silence et de la lumière, sans les emprisonner, en offrant en plus, à tous ceux qui ont la chance de vivre dans ses espaces, le plaisir vivant de sa création.


Je sais tout autant, que cette architecture n’appelle pas à son secours, sans cesse, la virtuosité technique ni une myriade de B.E.T. à son chevet pour résoudre des prouesses impossibles dans des porte-à-faux terrifiants ou dans des atriums qui abolissent toute notion de dehors et de dedans.

La morale constructive de CIRIANI lui épargne toutes ces dérives.


L’Architecture, ici, parle de tout autre chose, plus à l’échelle humaine dans sa volumétrie, plus à l’échelle de la main dans le toucher amical des matériaux, plus à l’échelle du regard dans la perception de chaque détail qui est donné à contempler.


Je ne sais pas si CIRIANI a eu pour ambition de nouer un dialogue entre enseignement et pratique de l’architecture. A lui de le dire à notre place.


Toujours est-il, en osant cependant cette interprétation personnelle, que CIRIANI a perpétué, en l’adaptant et en le nuançant probablement à l’occasion, son enseignement à travers sa pratique professionnelle au sein de l’atelier. Il me semble quand même difficile d’imaginer qu’il en soit autrement pour donner toutes les meilleures chances d’éclosion à ses projets.


Ainsi, pour ma part, je n’ai aucunement regretté de ne pas avoir suivi ses cours à l’université.


Je n’ai donc pas eu l’impression d’avoir été défavorisé, bien au contraire, en ayant pu profiter de l’apprentissage d’un savoir supplémentaire, celui de l’art de construire qui n’est jamais une mince affaire, notamment dans certains projets complexes appelant tous les talents du monde pour sensibiliser les entreprises au respect de tout ce qui doit être impérativement sauvegardé, épargné de la médiocrité des mauvaises habitudes.


Côtoyer CIRIANI durant 15 années comme cela a été le cas pour moi, exige un mental d’acier, une volonté inoxydable pour endurer une charge de travail constante, à flux tendu, avec des horaires de travail pas souvent compatibles avec une vie de famille régulière, et aussi, l’acceptation de donner le meilleur de soi-même au service de la production de l’atelier.


Il faut assurément avoir le gabarit approprié, la santé qui ne faillit pas, si l’on ne veut pas être rangé dans la catégorie des « petites natures » et rester dans la compagnie des tigres ayant survécu à toutes les privations pour s’endurcir.


Un beau jour, beaucoup d’années plus tard, à l’agence de la rue Pascal, je prends le risque, sur le ton de la plaisanterie, d’annoncer, sans aucun espoir d’en tirer avantage, que j’ai évalué grosso modo la durée de mes heures supplémentaires à 8 mois.


« Mais mon cher NICOLAS, cela correspond exactement à ton temps d’apprentissage » m’a répondu instantanément CIRIANI, jamais à court de formules éclair.


Comme aussi, lors de l’une de ses conférences, quand un étudiant qui avait mijoté à l’avance son intervention, apostrophe CIRIANI avec une critique absolument dévastatrice et qui lui répond à son tour « tu sors de quelle école ? donne-moi la date de ton diplôme ! ».

Je me souviens de ce jeune présomptueux disparaissant dans son fauteuil, dans le silence de la salle.


Et aussi du jour où quelqu’un de passage à l’agence de la rue de Montreuil nouvellement installée, s’étonnant que le meuble à plans repose, dans sa partie avant, sur deux pieds cylindriques découpés dans des tubes en carton et de la réponse de CIRIANI « Des pieds en carton, mais c’est logique pour un meuble qui ne contient que du papier ».


Tout cela pour dire, au-delà des anecdotes et amuser mon récit, que CIRIANI reste toujours un esprit inventif et agile, prêt à rebondir en toutes circonstances, jamais pris au dépourvu, comme dans son architecture où la fantaisie n’est jamais complètement absente.



Torcy

J’ai redécouvert avec bonheur à la Cité de l’Architecture et du Patrimoine la maquette du Centre de la Petite Enfance de Torcy, véritable concentré d’expérimentations architecturales.


Participer à la réalisation d’un tel bâtiment chargé d’autant d’intensité dans la plasticité maîtrisée au service du programme, ne peut pas s’oublier de sitôt.


J’ai retrouvé la paroi oblique s’adressant au jardin du hall d’entrée, sur deux niveaux, aux proportions généreuses pour accueillir les départs des circulations desservant les quatre programmes, et aussi, en contrepoint, la volumétrie en éventail contre laquelle s’appuient l’ascenseur et l’escalier de secours extérieur sculptant l’intérieur de l’équerre.


J’évoque à nouveau avec émotion cette décision architecturale de CIRIANI qui m’avait semblé à l’époque hautement audacieuse pour installer effectivement l’angle droit dont la composition du plan avait besoin. Il avait vu juste, comme toujours.


La maquette montre une volumétrie se modifiant sans cesse au gré des déplacements, dont le chiffrage du gros-œuvre par une société de ma ville natale n’avait pas été apprécié à son réel montant, et qui a fait dire aux entrepreneurs, à l’achèvement de leur mission, que cela leur aura servi de leçon après avoir découvert que, chez CIRIANI, les pointillés coûtent infiniment plus chers que les traits pleins.


C’est pour moi un bâtiment toujours surprenant. La relative sagesse des coupes ne donne pas à comprendre dans l’immédiat la complexité spatiale des espaces intérieurs qui ne m’a pas épargné des kilomètres parcourus en participant à sa réalisation, ni fait oublier la façade côté square, véritable exercice de composition des pleins et des vides qui, avec CIRIANI, nous a occupés un certain nombre de soirées.


Deux mots encore pour évoquer la pente du terrain assez accusée qui m’avait inspiré des craintes au départ et l’inscription du bâtiment dans un carré approchant, dévoilant au fur et à mesure de l’ascension des niveaux, la volumétrie étagée des terrasses végétalisées en partie, ainsi que la prolongation des
toits-terrasses dessinant, suivant la formule imagée et très poétique de CIRIANI, « des manteaux protecteurs pour les enfants ».


Cette formule est une attention aussi bienveillante que celle apportée dans le dessin des portes des crèches de Saint-Denis et de Torcy, avec leur oculus circulaire pour le personnel d’encadrement, complété par deux découpes rectangulaires à hauteur de vue pour les enfants.


CIRIANI prétend qu’il ne parvient pas à se sentir concerné par la gestion et rend hommage très justement à Marcela, qui lui a permis d’accomplir son œuvre librement, détaché de ces obligations. Il ajoute que le sens de l’organisation lui fait également défaut, ce qui est infiniment moins sûr.


Je n’imagine pas être le seul à le penser après avoir observé suffisamment longtemps à l’Atelier, une redoutable méthodologie dans l’organisation du travail, avec une répartition très réfléchie des tâches confiées à chacun des assistants, dans un souci permanent de rentabiliser au mieux la production, de sorte aussi à donner toujours les meilleures chances à chacun des projets.


Pour ma part, par exemple, je n’ai jamais été amené à travailler dans le domaine du logement social. CIRIANI craignait que celui-ci abîme ma sensibilité, plus apte selon lui, à se consacrer aux aménagements des espaces intérieurs des équipements publics, m’évitant ainsi de connaître l’ennui de la routine en donnant à mon cerveau la possibilité de résoudre les problèmes, même les plus difficiles.


Comment expliquer autrement le fait que l’Atelier puisse produire quantitativement la même chose qu’une autre agence ayant le double de son effectif, suscitant ainsi l’admiration des autres agences ?


CIRIANI a toujours été dans ce domaine un grand directeur d’agence.


Pour prolonger le mode de fonctionnement de l’atelier, je rappelle que le contenu projectuel de chaque concours était dessiné préalablement sur des carnets de croquis petit format, révélant une fois de plus la maîtrise parfaite du dessin pour représenter l’essence de l’idée.


Dans un premier temps, les pages des carnets étaient photocopiées et distribuées à chaque assistant, sans aucune explication, pour les impliquer le plus fortement possible au cœur du concept et les laisser réfléchir.


Chaque concours appelait toujours la constitution d’une équipe composée de l’effectif de l’atelier, complété par des dessinateurs extérieurs, des théoriciens de passage, un maquettiste, avec une personne désignée pour s’occuper de l’approvisionnement des fournitures, de la relecture des règlements des concours, du rappel permanent des délais du rendu, sans oublier Marcela, toujours active comme l’abeille dans sa ruche, se glissant dans cette composition hétérogène pour l’homogénéiser et lui donner la consistance voulue.



Arles

Il me faut maintenant évoquer le Musée Archéologique d’Arles que je connais assez bien pour avoir participé à toutes les étapes de son développement et de sa réalisation.


C’est un bâtiment absolument transcendant ayant permis d’aborder une réflexion approfondie sur cette figure triangulaire emblématique qui invite à produire une multitude de polygones, si l’on s’abandonne à la paresse.


CIRIANI traite bien entendu la gestion de cette forme d’une toute autre façon pour installer le programme comprenant une partie administrative, une partie scientifique et une partie culturelle, en se disant que les trois côtés du triangle pourront accueillir, chacun, l’un des trois programmes en trois branches dépliables comme celles d’un mètre pliant.


Décision réservant tout naturellement, au centre, un patio de respiration, véritable puits de lumière ouvert au ciel, accueillant sur un plan d’eau un escalier monumental et sculptural pour l’accès au toit-terrasse avec, en récompense, la découverte dans un paysage panoramique de l’église Sainte-Trophime.


J’ai souvenance des problèmes posés par les angles de cette figure géométrique dont la volumétrie échappe par bonheur au brutalisme d’un triangle équilatéral aux trois angles fermés et qui permet, de par ses ouvertures à chaque extrémité, d’en faire le tour sans l’appréhension d’une confrontation avec trois angles menaçants. C’est un sentiment que j’ai vécu tout au long de sa réalisation.


Dans sa réalité construite, le Musée se lit dans chacune de ses façades à la manière d’un bâtiment linéaire dont le triangle porteur de l’origine se fait oublier pour ne donner à voir, au final, que sa forme ouverte.


Lors de sa construction, s’est posée la question de l’opportunité, ou non, du revêtement des parois en béton avec un habillage en émalit bleu, choisi en rappel du ciel de la ville d’Arles célébré dans les tableaux de Vincent Van Gogh.


Le gros-œuvre en béton déjà très avancé donnait une ampleur antique qui aurait pu convenir également, mais tout a semblé trop tard pour changer d’avis.


Les sheds sont travaillés en forme de vague pour le glissement de la lumière zénithale intense à Arles et la canaliser en douceur sur les pièces archéologiques.


La muséographie s’est développée sur 8 mois d’études et 8 mois de réalisation et a mobilisé toutes les meilleures compétences dans le traitement de la signalétique, de la réalisation par des compagnons de chaque vitrine, de chaque présentoir, de chaque cimaise. Le parcours muséographique est enrichi par la présence d’un grand meuble architectonique en équerre régulant les flux et partitionnant les zones d’exposition.


Musée et muséographie ont exigé une production considérable de dessins d’exécution et, pour la première fois, des dessins à diverses échelles et, aussi, exécutés sur le chantier, en partie à main levée, en présence des entreprises, durant mes deux jours de présence à Arles, chaque semaine.


Le rapport aux matériaux

CIRIANI a toujours utilisé une gamme de matériaux restreinte, suffisante à ses yeux pour l’architecture de ses bâtiments.


La "pietra serena" sera choisie en raison de sa structure homogène et de la finesse de son grain, de préférence à tout autre granit ou marbre aux veinages trop prononcés et trop bruyants pouvant ruiner le silence de ses intérieurs.



Le chêne en placage sera toujours en bois de fil, débarrassé de ses encombrants ramages.



Les métaux seront utilisés parcimonieusement et, la plupart des fois, peints en vert wagon, en gris anthracite ou en gris poussière pour se faire oublier


Visiter l’architecture des bâtiments de CIRIANI n’est jamais l’occasion de découvrir un salon BATIMAT qui nous aurait échappé, mais plutôt d’offrir le moyen de raviver son regard trop souvent saturé par tout ce qui n’est pas absolument essentiel pour bâtir une réflexion.


Le rapport à la couleur est toujours l’objet d’une réflexion particulière où les grands maîtres de la peinture moderne sont convoqués à certains moments pour stabiliser des choix à partir d’une gamme très établie, autorisant des harmonies très calculées dans les associations, dans laquelle s’épanouissent des couleurs que l’on retrouve dans bon nombre de ses projets.


A ce propos, je constate que le rouge sang de taureau a disparu et que l’orange, absolument banni autrefois parce que trop connoté au fruit, apparaît subitement dans la gamme et, enfin, que le jaune citron, un peu trop amer, se réchauffe au fil du temps.


Les intérieurs sont majoritairement blancs, mais avec la couleur utilisée en grands aplats jamais très éloignés pour faire vibrer les blancs immaculés.



Conclusion

Bien sûr, un trajet de 15 ans ne se résume pas en 6 pages quand il y a encore tant de choses, petites ou grandes, à rappeler et à dire sur une telle richesse intellectuelle apportée dans tous les projets de l’Atelier CIRIANI Architecture.


Henri CIRIANI que je continue toujours à écouter dans mon for intérieur, m’a appris à emprunter les bons chemins de la connaissance.


Je le remercie pour cela, et aussi, à l’occasion du juste hommage qui lui est rendu actuellement en célébration de son œuvre, d’avoir fait remonter à la surface de ma mémoire un tel afflux de souvenirs heureux, rappelés en partie dans ce texte, très librement, au hasard de leur réapparition dans le sautillement des mots et des images.



Jacky NICOLAS

Architecte d’Intérieur CFAI

Paris, le 25 avril 2019

2) Il fut suivi de Michel Bourdeau dont ci-dessous les notes préparatoires :

POINT 1 – REALISATIONS EVOQUEES



A partir d’un court texte que j’avais écrit en 2013 sur l’œuvre de Henri Ciriani et intitulé « Le Triple Salto Avant de l’Architecte Ciriani», je souhaiterais évoquer 3 projets :

. Centre d’Etudes et de Congrès INRIA à Rocquencourt (sur la lumière)

. Palais de Justice à Pontoise (sur la ville)

. Villa à Lima (impression / imagination)



POINT 2 – THEME



. La méthode pédagogique (de UP 7 à UP 8) et l’autonomie disciplinaire


POINT 1 – REALISATIONS EVOQUEES

« Au commencement était le verbe »
Et un peu plus loin dans ce livre qui fonde notre culture
« Le verbe était la vraie lumière » (Evangile selon Jean – V 1-5 et V 9)

Je rapproche ces 2 phrases de celle de Etienne Louis Boullée : « Il faut concevoir pour effectuer. »

Henri Ciriani s’inscrit dans cette tradition. Il parle et explique sa conception de la lumière.
Il y parvient parce qu’il dessine génialement. Pas de dessins personnels, pas d’architecture.

A partir d’un court texte que j’avais écrit en 2013 sur l’œuvre de Henri Ciriani et intitulé « Le Triple Salto Avant de l’Architecte Ciriani», je souhaiterais évoquer 3 projets.

Le Triple Salto Avant de l’Architecte CIRIANI (2013)

1. La période classique

C’est lorsque j’ai découvert dans les années 70 son premier grand projet de logements en France à Marne-la-Vallée (La Noiseraie 1) que j’ai compris que Ciriani était un classique.
C’est-à-dire un architecte inscrit dans la culture architecturale italienne de la Renaissance, y compris l’héritage romain.
Des règles et des modes opératoires oubliés par les modernes de la reconstruction de l’après-guerre réapparaissaient : symétrie, axe, monumentalité, proportions, déclinaisons, haut et bas, socle, frise, colonnes, masse.
A propos de Noiseraie 1, Ciriani à lui-même parlé de « frise couchée », comme Perrault pour la colonnade du Louvre : la frise, au lieu d’être l’horizontale qui coiffe le haut du bâtiment, est posée au sol. Elle est inversée, couchée.
Petit à petit, à partir des années 80, Ciriani s’est affranchi de l’héritage classique pour entrer dans l’aventure plus libre de l’œuvre de Le Corbusier.
Ainsi, il progressait comme le maître, lui-même très influencé dans sa jeunesse par la grande architecture grecque et romaine.

2. Les références à Le Corbusier
C’est à partir des années 80 que Ciriani décide de revisiter toute l’œuvre de Le Corbusier. D’abord dans son enseignement, puis dans son travail d’architecte.
Il nous oblige à étudier tous les projets contenus dans les 8 volumes de lOeuvre Complète. Nous étudions d’abord toutes les villas blanches des années 20 et 30. À l ‘école UP8 Paris-Belleville nous faisons des maquettes de ces villas à l’échelle 1/20, avec tous les détails intérieurs.
L’objectif pédagogique n’est pas de reproduire un style mais de comprendre les dispositifs d’espace et de lumière inventés par Le Corbusier : plan-libre, volumes, structure, circulation-promenade, lumières.
Cette pédagogie, Ciriani la transpose et la construit dans ses projets d’architecte.
Notamment : Maison de l’Enfance à Marne-la-Vallée, Cuisine de l’Hôpital Saint-Antoine.

3. La période « Américaine »

J’appelle cette troisième période, à partir de la fin des années 90, « américaine », parce que Ciriani dilate de plus en plus les espaces intérieurs. Les volumes extérieurs sont libres et flottants. L’architecte jongle dans toutes les dimensions et atteint la maîtrise.
Les bâtiments les plus brillants de cette dernière époque sont : Musée de Péronne, Centre d’études INRIA de Rocquencourt et  Maison à Lima au Pérou.+ Palis de Justice de Pontoise.

Dans le dernier livre « Vivre Haut » (Edition Crossborders 2011), Ciriani dessine son idée de ville. Il transpose tout son savoir sur l’espace à l’échelle urbaine.
Plutôt que d’une utopie, je crois qu’il faut parler ici d’un rêve possible, d’une narration joyeuse.

Une fois de plus, Ciriani nous rappelle qu’un architecte ne doit être adepte que d’une seule philosophie : l’optimisme.
   
Illustrer avec les œuvres suivantes :

Période 1
Frank Lloyd Wright
Brunelleschi
Perrault

Période 2
Le Corbusier
Meier
Koolhaas

Période 3
Son travail d’architecte basé sur
L’ouverture
La dilatation
La recherche d’un espace sphérique que Henri Ciriani définit comme : « Il faut dilater l’espace, le rendre plus grand qu’il n’est. Mais il doit aussi être non agressif donc tendre vers l’espace sphérique. »

3 projets correspondent pour moi à la « période américaine » du Triple Salto :
. Dilatation et fluidité des espaces intérieurs
. Volumes extérieurs libres et flottants
. Homothétie d’une ville joyeuse et lumineuse

. Centre d’Etudes et de Congrès INRIA à Rocquencourt (sur la lumière)
. Le bâtiment se déploie dans le paysage
. L’écriture des façades est aérienne : autonomie des plans verticaux et horizontaux
. La lumière magnifique de la grande Salle des Commissions : gris-blanc, très Michel-Ange…

. Palais de Justice à Pontoise (sur la ville)
. Les 2 échelles de la ville : monumentale devant et domestique à l’arrière
. Autant d’espaces servants que d’espaces servis (le programme le permettait)
. Les espaces intérieurs font penser à certaines typolgies urbaines : rues, places, loggias

. Villa à Lima (impression / imagination)
. Je ne la connais qu’au travers de la belle conférence donnée il y a 10 ans par Henri Ciriani
. L’espace domestique semble comme enroulé et continu
. L’échelle pourrait être beaucoup plus grande…

POINT 2 – THEME

. La méthode pédagogique (de UP 7 à UP 8) et l’autonomie disciplinaire

Lorsque j’ai été étudiant de Henri Ciriani (entre 1978 et 1983) il traversait ses 2 premières périodes :
. Fin de la Période 1 : fin des années 70 (UP7)

. Début de la Période 2 : début des années 80 (UP8)

La méthode pédagogique

La méthode pédagogique était limpide : corriger chaque étudiant, individuellement, devant tous.
Henri Ciriani pouvait parfois dessiner sur le cahier de l’étudiant.
L’objectif était de progresser, en « se voyant faire ». Etre conscient du processus accompli.
L’étudiant devait décrocher son « feu vert » pour commencer à « rendre ».
Si l’étudiant décidait de « dévier » de la méthode, il devait se justifier.
L’école ne pouvait être considérée comme l’antichambre du métier en agence.
La « réalité » n’entrait pas à l’école. L’école était le lieu de l’idéal.
Ceux qui choisissaient de lancer des passerelles entre école et métier étaient considérés comme des mercenaires, voire des katangais.
Des clans se formaient, d’un côté les puristes, de l’autre les sophistes.
Un jour, Henri Ciriani nous a expliqué qu’il avait déclaré à Ricardo Bofill : « Tu es l’architecte et moi je suis l’architecture. »

L’autonomie disciplinaire
La discipline Architecture était considérée comme un corpus de connaissance, un savoir, une méthode.
Sa pratique reposait sur le dessin s’apprenait selon un processus lent.

Les projets abordés durant mes études ont été :
. L’analyse typologique de 4 appartements (Haussmann, Andrault et Parat, Le Corbusier, Bofill)
. Une maison de quartier en ville nouvelle, conçu à partir d’une image
. Une cellule d’habitation unifamiliale, non située
. Un Hôtel des Postes situé sur une parcelle d’angle dans le 3ème arrondissement de Paris
. 80 logements collectifs à Aubervilliers
. Un hôtel de 150 chambres à Ivry sur Seine
. La maison d’un éditeur de livres de 600 M2, non située
. 600 logements avec leurs équipements à Ivry sur Seine
. Le mémoire de fin d’études
. Le diplôme

Les études duraient alors 7 ans.

Parallèlement au travail de projet (qui occupait environ 75% de notre temps vital), l’autonomie disciplinaire impliquait d’étudier les œuvres d’architectes parfaits, comme par exemple :
. Michel-Ange
. Brunelleschi
. Perrault
. Labrouste
. Wright
. Le Corbusier
. Melnikov
. Mies van der Rohe
. Terragni
. Kahn
. La Tendanza italienne
. Aldo Rossi
. Stirling
. Meier
. Eisenman
. Hejduk
. Botta

EPILOGUE

Cher Henri Ciriani, vous êtes un maître. Au sens très ancien du terme.
Celui vers lequel se tournent les apprentis et les compagnons.
Vous êtes l’architecte français vivant le plus talentueux, celui dont l’œuvre est identifiée.
Je dis français puisqu’aujourd’hui on dit que l’architecture est partout, qu’elle est mondialisée.
Je n’y crois guère, car la majorité des architectes d’ici travaillent avec leurs références gréco-romaines, judéo-chrétiennes, importées aux Amériques.
Vous êtes aussi un maître car vous avez transmis, longtemps et généreusement.
Mais cela ne suffit pas.
Vous êtes un maître parce que vous dessinez et que cela est entrain de disparaître, comme l’écrit Philippe Sollers depuis très longtemps……..citation.


Votre oeuvre restera parce qu’elle est dessinée, gravée et conservée.
Cher Henri, avec respect et admiration, je vous remercie !



Commentaire de Ciriani plus tard: "Michel a fait un projet sur mes projets. J'apprécie".


3) Après, ce fut le tour de Laurent Tournié dont nous attendons le fichier.

4) Il fut suivi d'Alison Gorel-Le Pennec:


Alison Gorel-Le Pennec s’est exprimée sur l’état d’avancement de ses recherches, effectuées dans le cadre d’une thèse de doctorat à Paris 1 sous la direction de Jean-Philippe Garric sur l’enseignement d’Henri Ciriani. Elle est intervenue à plusieurs reprises en alternance avec les autres orateurs. Essentiellement, elle est revenue sur :
-          La place qu’occupe le projet dans cette pédagogie.
Les orientations sont les mêmes depuis les années UP7-Grand Palais, l’objectif principal étant de former des projeteurs qui ne doivent pas se laisser rattraper par d’autres disciplines (la politique et la sociologie notamment). Dans un contexte de réinvention, l’enseignement d’Henri Ciriani milite pour la grandeur et la respectabilité du métier. L’architecte-pédagogue choisit de donner la priorité, dans cette optique, à la maîtrise du processus projectuel. La réduction du champ d’exploration et l’impératif d’aller du simple au complexe sont à l’origine du travail de l’étudiant sur la spatialité. Un glissement sémantique s’observe : si la notion de forme occupe une place considérable dans cet enseignement à l’UP7, celle d’espace finit par prendre le dessus à l’UP8

-          La fabrique du champ des références.
À l’UP8, la notion de modernité est au cœur de cet enseignement. Le corpus de références est limité. C’est un choix pédagogique qui est fait : il s’agit de ne pas exposer l’étudiant à la globalité des données du réel. Pour mettre en place cet ensemble limité de références, un travail de recherche conduit par les enseignants et les étudiants a été mené de 1978 à 1984. A été étudiée une centaine d’œuvres des grands noms de la modernité du début du XXe siècle (principalement, Le Corbusier, Mies van der Rohe et Theo van Doesburg). Il s’est agi d’analyser le faire et le comment faire pour réaliser une mise en inventaire – qui ne tendait pas l’exhaustivité, comme dit précédemment. La méthode d’enseignement, à cette occasion, s’est précisée et a été déterminée. Alors que, à l’UP7, rien n’est encore posé sur le papier. Henri Ciriani et ses étudiants, au contraire, témoignent d’une recherche inlassable de références. Des travaux à l’échelle du groupe mais également des expériences personnelles ont été l’occasion de collecter ces références

-          La terminologie de cet enseignement et son élaboration.
Il y a la volonté de la part des acteurs de cette pédagogie de réinventer le langage en envisageant différemment le sens de notions habituelles en architecture, comme celles de banlieue ou d’équipement. Cette capacité de réinvention serait à l’origine de la pertinence de la proposition du concepteur. A l’UP7, ce processus de réinvention aurait été rendu possible en mobilisant la notion de monumentalité, tandis que, à l’UP8, il s’agissait de celle de modernité. Réinventé, ce langage est aussi partagé : un vocabulaire commun cimente le collectif d’enseignants-enseignés. Il y a, avec ce groupe, volonté d’entrer en communion avec l’architecture visitée ou projetée. Il s’agit d’une approche sacrale et physique. A l’UP7, les acteurs de cette pédagogie cherchent à mettre des mots sur ce qu’ils découvrent et parcourent. Les termes ineffable et indicible reviennent fréquemment dans les textes qu’ils préparent : ils sont en quête d’un lexique. Tandis que, à partir des diplômés de 1979 et à l’UP8, le vocabulaire se met en place. Permanence, gravité, pertinence, présence, évidence… La liste s’allonge. Sans oublier que, au cœur de leurs préoccupations, la lumière (construite et célébrée), l’ordre caché et la modernité (sur les plans spatial et éthique) sont à l’origine de ce vocabulaire. 

5) Puis, ce fut le tour de Jean Mas dont nous attendons le fichier.

6) Et pour finir Emmanuel Delabranche dont voici le texte :

syntaxe
étudiant de ciriani puis apprenti-enseignant à ses côtés j’ai pris note d’un certain nombre de ses propos devenus pas la capture puis la retranscription citations aphorismes qui m’ont marqué impressionné s’imprimant en moi empreintes encrages repris depuis sous forme de diaporama projeté lors notamment de cours d’enseignement en troisième année des études d’architecture aux côtés d’autres propos de derrida deleuze benjamin quignard godard

 

l’enseignement de ciriani est passé cela est indéniable par la force de son parlé oral parfait voix musicale mots ralentis entre cohen auquel on trouvait qu’il ressemblait physiquement et bashung et son accent resté présent et puissant les années passant



la force des propos pourtant ne se limitait pas à cette forme d’expression il y a le fond le fondement du propos qui vaut leçon enseignement comme les aphorismes de perret dans sa contribution à une théorie de l’architecture et toutes les phrases de niemeyer botta et ciriani collectées et présentées par jean petit dans la collection des forces vives 



de ces mots j’avais fait à mon tour le fondement de mon mémoire de fin d’études intitulé comme son nom l’indique qui pourtant semblait reposer sur un poème de michaux titré alphabet qui n’était qu’une première recherche sur l’enseignement un début le début de mon propre enseignement en école d’architecture



                        syntaxe



les mots de l’enseignement de ciriani sont choisis pesés équilibrés entre la force évocatrice du théâtre joué et celle de la poésie lue mots ralentis scandés écrits au préalable préparés réglés parfaits et encore la spontanéité extrême de ceux prononcés par deleuze dans l’abécédaire de claire parnet
 
                                               syntaxe

sens de la formule mots d’ordre aurait dit hocquard
 
                                                                       syntaxe

mots parfaits phrases lancées sans savoir où pourraient arriver mais toujours de se rattraper jeux d’équilibre jeux parfaits et dans la tête la chose est claire clarifiée éclairée limpide flots flux affluent effluves de sens comprend qui peut

                                                                                              syntaxe

il y a eu tout ce vocabulaire décortiqué par marie-jeanne dumont et appris acquis par tant d’étudiants lors des ateliers ou séminaires

il y a eu ces mots spontanés retenus ou non parfois furtifs toujours prégnants que l’inconscient guidait et qui accrochaient leur proie ne la laissent plus sous aucun prétexte s’en écarter s’en échapper s’enfuir mais permettant l’évasion

il y a eu ces mots-clés ces mots-concepts ces mots-force ces mots d’ordre

                                                                                                                      syntaxe

un début

et de ces choses énoncées naissaient chez les autres l’idée même de l’architecture sa forme et son fond au-delà des apparences et des figures pré-établies pré-fabriquées pré-digérées

ciriani est dans l’indicible et c’est pour cela qu’il parle et parlait tant insatiable inépuisable incessamment tentant de formuler pour y voir clair et ceux qui ont vu dans cette lumière une recette ont affaibli le propos en le simplifiant

emmanuel delabranche



Voici l'enregistrement des débats :

cliquer ici