LE LOGEMENT N'EST PLUS D'ACTUALITÉ

Texte publié il y a vingt ans dans le numéro 287 de la revue CREE Architecture Intérieure

 Le logement n'est plus au centre de la réflexion architecturale, comme il le fut entre les deux guerres ou sous l'impulsion du rationalisme italien des années 70 ─période où l'on établit la nécessité d'articuler les typologies du logement avec la morphologie urbaine pour éviter la perte de sens et de forme à la ville. Cette nécessaire articulation a secrété une perversion en rendant la typologie dépendante de la morphologie; ce qui se justifiait alors, quand les nécessités contextuelles étaient importantes, cesse de l'être aujourd'hui, surtout avec l'apparition des figures urbaines minimalistes. En Hollande, où les coûts de construction sont très bas et où les réglements interdisent tout pont thermique, le pays produit des logements recouverts d'une peau légère. Dénués de force tectonique, ils recourent à des subtilités graphiques pour s'en tirer; ces subtilités dont la mode raffole, car elles maintiennent l'illusion de nouveauté. Nous assistons ainsi à l'apparition de figures urbaines dénuées de complexité qui imposent leur banalité et leur pauvreté spatiale à des logements-figures et se couvrent de fenêtres espacées qui ajoutent au banal l'ennui, ou, pire, transforment toute paroi extérieure en surface de verrière rendant conflictuel l'usage intérieur. S'y ajoute le désarroi lié aux préoccupations sécuritaires dues au terrorisme et aux violences urbaines qui repoussent les projets vers des îlots protégés."
En vingt ans, la France a fait du logement social un laboratoire qui a reconstitué une culture architecturale.
Dès les années 70, la France a fait du logement social la base de son laboratoire d'architecture. Après la période des grands ensembles, où la quantité était autant un objectif que la modernisation, le pays réintroduisait du sens dans sa production de logements; de l'urbain et de la qualité architecturale. Lorsque la gauche arrive au pouvoir, au début des années 80, elle est privée de la plate-forme légitime: le social, car le logement est déjà traité. Au lieu de le porter vers des horizons nouveaux, elle se laisse tenter par des programmes d'architecture objet, dont l'image contamine le logement.
Progressivement, tous les excès de l'architecture d'auteur et des techniques publicitaires ont envahi le logement en se surajoutant à la prédominance de la morphologie urbaine. C'est très grave, car les qualités essentielles du logement sont sa pertinence sociale et sa fonctionnalité..., seule garantes de sa dignité.
La violence urbaine interdit tout signe de convivialité, au détriment de l'habitabilité.
Nous sommes confrontés à une nouvelle difficulté: celle de maîtriser les déséquilibres liés au chômage. Une dizaine de chômeurs suffisent à déstabiliser le corps social d'un immeuble? Dès lors, ce que nous créons pour favoriser la convivialité entre voisins inquiète les maîtres d'ouvrage. Si ce phénomène s'accentue, le logement en tant que logique collective risque l'interdit, et la sécurité risque de devenir la préoccupation majeure de l'architecte. C'est antinomique avec l'attitude prospective de notre travail, centre sur la liberté de la pratique spatiale.
La procédure du concours ne convient pas au logement
Curieusement, depuis que l'on a imposé la procédure des concours, moi ─qui suis un homme de logement─  je n'ai plus d'opérations à faire en France. On ne pense plus à moi pour des projets urbains. Un concours pour des logements a peu de sens. La complémentarité amicale avec les maîtres d'ouvrage sociaux me semble très importante..., car les qualités auxquelles ils sont attentifs sont difficilement appréciables pour être jugées dans un concours, où l'image globale, facile à comprendre prime sur toute subtilité, sur toute qualité typologique.
Les Français donnent l'impression que la France est un pays en train de se défaire... Au contraire, il se fait très bien
 La période est dure, mais le logement bénéficie désormais, à coûts abordables, de remarquables acquis techniques: variété et performances des produits verriers et des menuiseries métalliques, taille des radiateurs, mobilité des cloisons, protections acoustiques et thermiques performantes, fines et légères. Dans le logement, il ne faut pas se tromper sur ce qui est ou non permanent. A titre d'exemple, les banches de béton garantissent l'étanchéité entre les cellules d'habitation tout en accordant à la façade une autonomie pour jouer avec le contexte.
Le futur du logement est indissociable de l'idée d'une bouteille autonome dans son casier. On sait désormais que l'on ne peut industrialiser que les parties assujetties à l'évolution des techniques, c'est à dire rien qui soit essentiellement lié à la forme du logement.
Les progrès technologiques et médiatiques introduisent des modifications du cadre de vie. Les premiers par leur capacité à réduire, à miniaturiser ─d'où un surplus à venir d'espace─ et les seconds, parce que l'utilisation des espaces change: le numérique modifie la notion de stockage; la motorisation des éléments du bâtiment autorise la ventilation ou l'éclairage des pièces "à la carte". Les espaces ne seront plus uniquement fonctionnels; les habitants les géreront de façon ludique, voire émouvante; il va falloir offrir des murs peints, vides, mats, actifs, poreux, lisses, permettant leurs modifications sensorielles ou les projections d'images, virtuelles notamment...
Mais il faut savoir que si la société continue à se préoccuper si peu de valeurs humaines honorables, telles que la solidarité, le partage et la générosité, le logement ne peut pas fleurir.
Toutefois, quel que soit le futur du logement, c'est lui qui devra faire la ville. Quelles que soient les défaillances du logement, la ville se doit d'être belle et de continuer à être le lieu où se mélangent le familier et l'inattendu. Elle se doit d'être attractive notamment pour la valeur économique majeure de son futur, le tourisme.
L'idée de Corbu selon laquelle la maison est un palais induit que l'architecture entre par les fenêtres comme du soleil. Nous sommes au cœur d'un moment magnifique comparable aux années 30 ─où l'on doit faire des palais pour des gens qui, du fait de la raréfaction du travail et de la miniaturisation technologique, vont avoir plus de temps à vivre, et donc une exigence d'architecture, car celle-ci assurera le besoin d'intériorité tandis que la ville satisfera celui du relationnel.
Le bâtiment perméable est un progrès par rapport au bâtiment linéaire
Si l'on veut admettre que  l'immeuble-villa résume le mieux l'idée d'une maison comme palais du domaine collectif, mes recherches essaient de concrétiser ou de faire évoluer les concepts dans la forme de l'édifice (morphologie) et dans celle du logement (typologie). Trois orientations m'apparaissent clairement: l'édifice perméable, qui tente de rendre transparent une partie du bâtiment linéaire, thème développé depuis Chambéry (1983), Rotterdam (1988), la Haye (1995), et construit en partie à Colombes en 1995. Simultanément, la typologie maigre permet des logements à triple orientation qui donnent une forme "libre" au bâtiment (voir mon projet de Groningue 2, de 1992); et la maison urbaine dense, issue d'un expérience personnelle: le triplex, favorisant les capacités d'adaptation aux différents modes de vie et aux immeubles de grande hauteur (cf. mes projets pour le Plessis-Robinson en 1991, et Boulogne en 1987). Dans le logement vertical, la double hauteur, qui constitue la centralité dominante du duplex, apparaît plus normale, car elle dilate et qualifie une spatialité globale.
Ces trois directions me semblent poser la question du logement aujourd'hui en attente de jours meilleurs.
Propos recueillis par Christine DESMOULINS




CHAMBÉRY 1980 A 1983

Francis Ampe avait trente-deux ans lorsqu'il fut élu en 1977 maire de Chambéry avec une liste d'union de la gauche. Peu après il nommait comme conseiller à l'urbanisme et directeur de l'atelier municipal, Jean-Patrick Fortin, ami et collègue à UP8 de Ciriani. Lorsqu'il fut question de restructurer le centre ville après la libération des casernes, la société d'équipement de la région de Chambéry, sur recommandation de Fortin, commandait à Ciriani une étude pré-opérationnelle parallèlement à l'étude d'impact de la Ville.
A la suite de l'étude, rendue en octobre 1980, l'office d'HLM de Chambéry commandait à Ciriani la conception de173 logements, une cité d'artistes, des commerces et services sociaux. L'opération obtint le label REX et une subvention du Plan Construction mais elle fut arrêtée par le maire RPR élu en 1983 alors que les travaux avaient démarré.

Ci-dessous le rapport de l'étude remise à la Ville de Chambéry en octobre 1980, suivie du projet de logements  conçu entre 1981 et 1983.















OPÉRATION QUARTIER RÉPUBLIQUE 1981-1983
Maître d'ouvrage: O.P.H.L.M. de la Ville de Chambéry
Architecte associé: Richard Henriot
Programme:
A l'emplacement de l'ancienne caserne Barbot et longeant l'avenue de la République, l'ensemble comportait:
- 173 logements HLM composés essentiellement de deux typologies dites "de faubourg": un immeuble de type "villas suspendues" le long de l'avenue au nord (le bâtiment linéaire) et des maisons de type "hôtels particuliers" en frange du jardin au sud (les plots).
- Une galerie commerçante et 1000m2 de boutiques le long de l'avenue de la République, au rez-de-chaussée du bâtiment "front d'urbanisation".
- Un centre municipal d'assistance sociale de 900m2 sur quatre niveaux, avec accès par l'avenue de la République.
- Une cité d'artistes du côté de la Maison de la Culture.
- Un parking enterré de 173 places.

Une unité de colonnade des anciennes écuries était sauvegardée à l'est.

"Le projet explore une nouvelle voie dans la conception d'opérations d'une certaine importance, en milieu urbain ou en ville nouvelle: le travail d'une échelle intermédiaire d'intervention entre la typologie des logements et la forme de la ville: la création de "pièces urbaines".
Cette démarche implique que l'on tienne compte des objectifs suivants:
La figure
Constitution d'une forme urbaine claire, une figure géométrique simple constituée de bâtiments linéaires.
L'extérieur
Cette figure doit être reconnaissable de l'extérieur et, en conséquence, doit se démarquer de son entourage ou le conditionner, devenir identifiable et dialectique.
L'intérieur
La "pièce" doit posséder un "intérieur". Cet intérieur doit se référer à l'ensemble tout entier. La variété nécessaire des événements visuels ne doit pas nuire à son unité ou à son foyer spatial. L'intérieur est indissociable du programme et, en même temps, par sa dimension et sa présence, doit apparaître comme une partie urbaine de la ville, comme une contribution à l'ensemble des espaces publics de la ville.
L'architecture
Cet espace intérieur doit être "tenu" par l'architecture. Il doit donc apparaître comme l'espace vital des bâtiments qui le bordent. Ses parois doivent se confondre avec les façades des immeubles. L'espace met donc en relation les bordures, leur assignant un rôle formel précis qui devrait contribuer à l'unité intérieure --collective-- en même temps que satisfaire les besoins ou exigences des logements --individuels. La transparence, le travail en strates, le vocabulaire architectural, autant d'éléments qui servent à transcrire cette épaisseur architecturale nécessaire à l'échelle de l'ensemble.
Le contexte
L'incidence de l'environnement sur un projet est une donnée essentielle de l'architecture. Il s'agit d'établir un rapport dialectique entre l'existant et l'avenir, une mise en valeur réciproque de deux situations spatio-temporelles.
A Chambéry, nous avons "intégré" le contexte au projet à différents niveaux:
La géographie
Chambéry se présente comme un carrefour de vallées surplombée par des montagnes boisées. Outre que cela privilégie les lignes de faîtage, la situation du terrain en bordure d'une vallée a permis d'ouvrir la ville, à travers des transparences dans la forme urbaine, vers un paysage encadré.
Au sud du terrain, la montagne. Là, le P.A.Z.(plan d'aménagement de zone) a dégagé un secteur d'ombre, un jardin le long duquel se dispose une ligne de bâtiments percée de transparences sur 40% de son linéaire, des bâtiments de type "hôtels particuliers".
Au nord du terrain, le long de l'avenue de la République, s'étire un "front d'urbanisation" à la hauteur maximale de 21 mètres. Les circulations et accès, concentrés au nord, dégagent le sud pour les terrasses; la valeur accordée au contre-jour fournit au bâtiment ses parties évidées qui enrichissent sa silhouette. Le soleil et le site déterminent ainsi les caractéristiques formelles les plus marquantes du projet.
La présence envisagée de la Maison de la Culture dans le périmètre de l'opération nous a fourni l'occasion de l'encadrer par un porche important à l'ouest.
La situation de "porte de ville" du carrefour Jorcin et la forme en sifflet du terrain vont conditionner le bâtiment "équerre" à l'angle est.
La brèche ouverte dans le bâtiment qui longe l'avenue de la République permet à l'espace intérieur (cours central) de retrouver une respiration face au segment d'écurie conservé. Cette brèche, et la courbure du bâtiment, respectent la présence de platanes centenaires.
Pour satisfaire aux deux lectures du bâtiment, le travail porte sur l'autonomie virtuelle des parois des immeubles en tant que représentation soit de l'unité de l'ensemble, soit des volumes habités."
Henri Ciriani
Texte accompagnant la publication du projet dans la revue française AMC N°2 d'octobre 1983


Le bâtiment linéaire - front d'urbanisation
dessin du 16 juillet 1982
dessin du 17 juillet 1982
Elévations générales sud (en haut) & nord (en bas) avec les plots en premier plan - documents du dossier de consultation des entreprises (octobre 82)


coupe-élévation type - dessin du 22 décembre 1981


















dessin du 19 octobre 1981











Les plots - type "hôtels particuliers"
élévations sud et nord - plans du dossier de consultation des entreprises (octobre 82)

La pièce urbaine dans la ville
A

ECRITS SUR LE MUSÉE D'ARLES

L'ARCHITECTURE D'AUJOURD'HUI N°282, septembre 1992
ARQUITECTURA VIVA N°37, JULIO-AGOSTO 1994
CASABELLA N°618, DICEMBRE 1994
ARCHITECTURAL DESIGN PROFILE N°12, 1996


L'ARCHITECTURE D'AUJOURD'HUI N°282, septembre 1992


Pour un architecte, avoir à traiter un programme de musée est une chance: c'est un lieu véritablement d'architecture où l'on est autorisé à s'exprimer, où l'absence d'archétype donne une liberté rare. C'est aussi le lieu par excellence de la lumière maîtrisée.
Le musée classique est né de la réutilisation de la figure du palais et de son enchaînement de pièces. Cette typologie n'est pas entièrement satisfaisante, notamment au niveau de l'entrée. Il faut emprunter une invention anglo-saxonne, le lobby. Lieu focal où convergent les circulations (on peut y arriver de quatre rues ou même par le train), le lobby des hôtels new-yorkais est le meilleur exemple d'un accueil à partir duquel tout se distribue et où un ensemble d'informations est donné dans une simultanéité parfaite.
Pour échapper à l'archétype du palais, Wright et Le Corbusier trouvèrent, l'un et l'autre, le mouvement continu et la forme qui s'y adapte, la spirale. Leur apport a été de mettre en évidence le fait qu'un musée est surtout un parcours, une circulation. Dans un mouvement de descente chez Wright (mais le rapport avec l'entrée est perdu); du centre vers l'extérieur chez Le Corbusier (mais il faut passer sous le bâtiment pour aller au cœur de l'édifice et développer ensuite le circuit vers la périphérie). Ces dispositions produisent des bâtiments très autonomes qui ne peuvent pas être contextuels; C'est plutôt au contexte de faire l'effort.
Le thème du musée a réellement émergé dans les années quatre-vingt. Il y a gagné un statut d'édifice majeur. Le projet de Hollein à Mönchengladbach, celui de Meier à Francfort ou de Pei à Washington, celui de Stirling à Stuttgart ouvrent la voie d'une réflexion sur un édifice pour lequel n'existe guère de référence antérieure. Ces grands équipements tendent à se constituer comme des espaces urbains intérieurs. Ils se définissent dans ce type de spatialité.
Dans notre projet, toutes ces considérations étaient déjà présentes (bien que moins définies), en 1983-84, au moment du concours. Et puis il y avait la ville d'Arles. Le musée se devait d'apporter une nouvelle pièce à l'histoire de la ville. Dans cette presqu'île bordée d'eau, le Rhône à l'ouest, le canal du Midi à l'est, la figure du triangle s'est imposée rapidement. Étrangère à la romanité, elle répond cependant à l'ovale parfait de l'amphithéâtre de la vieille ville, faisant écho aux géométries brutales des grands ensembles de la ville neuve. Du géographique, elle rejoint l'urbain.
Le triangle est une figure qui s'articule en hélice autour d'un centre. Il répond parfaitement au programme qui demandait un circuit court et un circuit long. Mais il représente aussi une sorte de défi: fermé sur lui-même, il est indéformable au niveau constructif, à l'opposé en cela d'une certaine image de l'espace moderne, par définition libertaire, qui aurait plutôt tendance à s'échapper. Comment faire, sans fermer le triangle, pour qu'il reste? Cette interrogation rejoint mes préoccupations de toujours: comment fermer un espace ouvert, comment ouvrir un espace fermé? L'hélice, en traitant son centre vide et théoriquement fermé, en l'ouvrant sur le ciel et en construisant le long de ses bras, permet qu'on ouvre l'espace sur les trois directions.
Le programme s'intègre logiquement dans cette figure, avec ses trois secteurs: le scientifique (qui regroupe les opérations de restauration, d'exposition temporaire puis de stockage ainsi que l'école des fouilles),le culturel (où s'effectue l'enseignement, avec bibliothèque, salle de conférence, foyer, administration) et l'école des guides.
Ils forment deux bâtiments qui tiennent entre eux le musée proprement dit. Ils sont travaillés dans une relative souplesse car leur façade, constituée par des parois autonomes revêtues d'Emalit bleu, ne leur appartient pas. La symbolique et l'échelle de ces parois n'ont pas à tenir compte d'une logique interne particulière.
La façade principale est perpendiculaire à l'écluse du canal du Midi, ce qui permet d'ancrer le bâtiment sur un élément artificiel. Cette première paroi, face à la ville ancienne, n'a pas de développement. Elle est l'acte fondateur du projet en même temps que la façade de l'immense cirque qui la jouxte et dont les fouilles sont en cours. Derrière elle, l'aile culturelle apparaît comme un bâtiment blanc sur pilotis à l'intérieur de la cité. De cette première paroi naît la seconde, face au canal, qui va gouverner l'aile scientifique vers la pointe de la presqu'île, laquelle introduit le musée face au Rhône avec son extension vers la ville.
Au centre, le patio contient un grand escalier qu'on emprunte pour achever sur le toit le parcours muséographique. Cet élément remplit le vide central, donne la direction de l'hélice en même temps qu'il la stoppe. On arrive à la hauteur de la cime des arbres. Le musée ici se fond avec son territoire. Ce toit constitue la quatrième façade de l'édifice, tout aussi importante que les trois autres et révélatrice de l'organisation interne par son système d'éclairage zénithal.
L'architecture de l'ensemble est très dépendante du captage de la lumière. Un ensemble de sheds ouverts au nord conduit la lumière loin du périmètre de la façade. Ce type d'éclairement issu du monde industriel a gagné dans le musée un statut proprement architectural. Ici, il forme des vagues de lumière blanche et homogène qui paraissent ruisseler, échappant au plafond.
Un autre type de lumière (qui peut être qualifiée de réfléchie) est obtenue par des potences qui captent la lumière solaire et lui donnent une texture plus colorée. Enfin, les lumières dites "de vue" entrent par des ouvertures toujours cadrées sur le paysage et mises en tension pour que l'espace ne s'échappe pas.
L'Emalit bleu teinte cette lumière d'une nuance plus froide. Ce matériau et cette couleur étaient déjà présents dans des projets plus anciens (notamment celui de l'Opéra-Bastille) où ils obéissaient à une syntaxe précise (bleu pour les éléments contextuels, rouge pour les parties clairement fonctionnelles). A Arles, le bleu se réfère plus simplement à la couleur du ciel provençal, si intense.
Les évolutions du programme depuis le moment du concours ont déjà permis de vérifier la pertinence de la figure la pertinence de la figure triangulaire. Ce qui était le musée de l'Arles antique est devenu l'Institut de recherche sur la Provence antique. On est passé de 6 000 à 7 400 m2, sans qu'en soit affecté le concept de base.

Henri Ciriani
in L'Architecture d'Aujourd'hui n°282, septembre 1992


ARQUITECTURA VIVA N°37, JULIO-AGOSTO 1994


Para un arquitecto, la ocasión de acometer un programa museístico es toda una oportunidad: se trata de un lugar verdaderaente arquitectónico donde es legítima la expresión pura, donde la ausencia de arquetipos otorga 
una libertad poco frecuente. Es, además, el lugar por excelencia de la luz domeñada. El tema del museo ha reaparecido de forma espectacular durante los años ochenta y ha conquistado un rango de edificio principal. Los grandes museos realizados en estos años tienden a convertirse en espacios urbanos interiores y quedan definidos dentro de esta catagoría espacial.
En el proyecto del Museo de Arles, convertido ahora en Innstituto de Investigación de la Provenza Antigua, todas estass consideraciones estaban ya presentes en 1983-1984, en el momento del concurso. Estaba luego la ciudad de Arles: el museo debía aportar una nueva pieza a la historia del lugar. Dentro del emplazamiento, casi una isla, con el Ródano al oeste y el canal del Midi al este, la figura del triángulo se impuso rápidamente.
El triángulo es una figura que de articula en hélice en torno a un centro. Responde perfectamente al programa, que exigía un circuito corto y otro largo. Pero también representa una suerte de desafío: cerrado sobre sí mismo, es indeformable en el aspecto constructivo y contrario en esto a una cierta imagen del espacio moderno, que es por definición fluido y muestra tendencia a escaparse. La hélice permite que el espacio se abra en las tres direcciones. El programa se integra de manera lógica en esta figura, con sus tres sectores: el científico, el cultural y el académico.
El conjunto se configura como dos edificios, entre los cuales queda contenido el museo propiamente dicho. Sus fachadas, constituidas por paredes independientes recubiertas de cristal "Emalit" azul, no les perteneces: el simbolismo y la escala de estos muros no responden a ninguna lógica interna particular.
La fachada principal es perpendicular a la esclusa del canal del Midi, lo cual permite anclar el proyecto a un elemento artificial. Este primer muro, de cara a la ciudad antigua, no tiene desarrollo. Constituye el acto fundador del proyecto y al mismo tiempo actúa como fachada del inmenso anfiteatro adjunto. Tras él, el ala cultural se presenta como una construcción blanca sobre pilotis. De este primer muro nace el segundo, frente al canal, que dirige el ala científica hacia la punta de esta especie de isla.
La cuarta fachada
En el centro del patio, una escalera sube hasta la cubierta del espacio de museo. Este elemento llena el vacío central e impone dirección a la hélice, deteniendo al mismo tiempo su recorrido. El edificio se encuentra con su entorno en lo alto de la cubierta, que constituye así una cuarta fachada, tan importante como las otras tres y reveladora de la organización interna a través del sistema de iluminación cenital.
La arquitectura del conjunto depende en gran parte de las formas de captación de la luz. Una serie de lucernarios abiertos al norte conduce la luz lejos del perímetro de la fachada. Este tipo de iluminación extraído del mundo industrial ha adquirido un carácter puramente arquitectónico. En este caso forma oleadas de luz blanca que parecen llover desde el techo hacia el interior El vidrio azul otorga a la luz un tinte más frío y se presenta como referencia al color provenzal, tan intenso.
Henri Ciriani
in Arquitectura Viva 37, julio-agosto 1994
 
 
CASABELLA N°618, DICEMBRE 1994 



Le tre ragioni del triangolo
.  Grazie a questi dodici anni di lavoro il progetto si è fatto evidente, mentre all'inizio era solo intuitivo. Il temp mi ha permeesso di sapere con esattezza ciò che stavo facendo. Io dico sempre che se non si hanno tre ragioni per fare una cosa, è meglio non farla. E per fare quel triangolo avevo tre ragioni.
.  La prima era connessa all'itinerario, perché il programma parlava di giro lungo e di giro breve. Ora, fra tutte le figure, il triangolo è cuella che consente l'itinerario più breve, e quello lungo si può ricavare nello spessore di uno dei bracci.
.  La seconda ragione è il sito: un triangolo delimitato dal fiume, dalla chiusa e dal circo romano.
.  La terza ragione è programmatica. Il programma era in tre parti: un'ala culturale (conservazione, corsi per le guide, auditorium); una scientifica (corsi di scavo, mostre temporanee), che è la parte "laboratorio" del museo; e il museo propriamente detto.
questo era già un incitamento a dare a ognuna una luce, uno spazio, un colore particolari. Ogni parrete è rappresentativa del proprio programma.
.  La parte culturale è l'unica che lasci leggere gli elementi interni; è un edificio che si rispecchia nella città vecchia.
.  Quella scientifica è un brise-soleil, non autorizza alcuna lettura.
.  La parete del museo crea il rapporto con l'estero.
Il triangolo è l'ideale per imparare a chiudere ciò che è aperto e ad aprire ciò che è chiuso.

Tre sono le condizioni imposte dalla tipologia del museo: l'ingresso, il percorso, la luce.
L'ingresso è il palazzo, oppure la rovina. È l'ingresso strutturato in origine per la gloria di uno solo, che diventa l'ingresso di tutti. L'esempio più significativo è il Louvre. Ingresso vuol dire siimultaneità dell'informazione, è uno spazio simultaneo: ad esempio, quello che era un tempo l'ingresso del MoMa di New York. L'analisi di Wright e di Corbu fa capire che il museo è un percorso in cui si entra e si esce nello stesso punto.

Nel caso del triangolo, uno dei problemi principali era l'impossibilità di collocare l'ingresso al centro delle parete. Più il lavoro andava avanti e più era chiaro che l'unica soluzione che consentisse un ingresso d'angolo era quella della rampa. La scalinata al centro della rampa vuol essere un ricordo dell'ingresso centrale.

La "promenade" architettonica si faceva evidente: giunti sul tetto, si può vedere il sito di cui si è appena visto iil modello; la rampa è diventata un belvedere. Nessuna modifica al programma ha mai posto in discussione la rampa.

Percorso. All'interno, esso è frutto degli schemi di circolazione urbani degli anni Cinquanta con angoli di 60°: io sono figlio degli anni Cinquanta. Col tempo, però, mi sono reso conto che il lavoro era ortogonale, perché ogni ala veniva letta ortogonalmente nel suo spessore interno. Non si ha l'impressione di trovarsi in un triangolo, ma il triangolo rimane presente nella memoria del percorso.

L'ultima condizione tipologica è la luce. Qui abbiamo un sistema di illuminazione dal tetto, come una quarta facciata. Dove si trova l'illuminazione più omogenea che sia mai stata inventata? Nelle fabbriche, con gli sheds. Il pilastri diventano tronchi d'albero, le ondulazioni del soffitto sono nuvole. In questo spazio si ha la sensazione di trovarse agli albori dell'architettura: non la capanna, ma la radura. Il soffitto di Corbu a Chandigarh è una notte stellata; io qui mi sono richiamato semmai ai soffitti delle chiese barocche di Vienna, con le loro immagini di cieli al tramonto.
Il referente dell'architettura è la natura. Oggetto dell'architettura è la spazialità interna. Ed è un'invenzione cui si giunge soltanto quando all'interno si riesce a rappresentare, fisicamente o in modo da suscitare un'emozione, una spazialità esterna. Lo spazio indicibile, è riuscire a realizzare un esterno naturale in un interno architettonico.

Il colore non è soltanto un'astrazione. Inizialmente, le tre ali del triangolo erano autonome. Ma perché le tre pareti rappresentassero l'insieme era necessario che si toccassero. Poi è nata l'idea del rivestimento blu, che è un tema pittorico. Esso rinvia alla permanenza del cielo, l'unica permanenza dall'epoca romana a oggi, dato che la terra viene continuamente modificata. Il vetro trasmette l'idea di un nuovo tipo di marmo, mentre all'inizio stava semplicemente a significre: questo non è un oggetto organico. E c'è anche l'idea dell'indossare il vestito bello, un vestito di Paco Rabanne pere sottolineare la parte perenne dell'edificio. Il vetro blu esprime l'idea che al di là vi sia una permanenza, che si intravvede nei tratti scoperti, ove traspare il cemento. Il vetro trasparente, invece, sta a indicare il vuoto.

Il muro rosso, all'interno, lungo la galleria dei sarcofagi, c'è stato fin dall'inizio. Quella parete doveva essere rossa affinché i sarcofagi non dessero l'idea della morte. Per dare un sesnso di calore; Ma per chi guardasse dal punto più largo, il muro poteva apparire come uno sfondo: e questo sarebbe stato un disastro. Allora ho fatto funzionare il muro rosso e le colonne come una sorta di stoà greca, affacciata su un paesaggio interno.

Il lavoro svolto a Péronne mi ha confermato quanto sia fondamentale l'idea di permanenza. Per Arles, ho sempre avuto la pretesa di fare qualcosa di romano, ma di un romano del giorno d'oggi. Cerco di stare da quella parte: la romanità mi piace, è la civiltà.

Henri Ciriani
in Casabella N°618, dicembre 1994


ARCHITECTURAL DESIGN PROFILE N°12, 1996



The concept of the museum has in effect only emerged in the last 80 years, although it has now developed to a much-heralded status. Hollein's project at Mönchengladbach, Meier's in Frankfurt, Pei's in Washington and Stirling's in Stuttgart open the way for reflection on the edifice for which anterior references barely exist. The Museum of Ancient Arles was built to deal with the existing and increasing amount of Roman artefacts from the surrounding area in Southern France and set up sophisticated excavation projects and research groups.
The museum was to bring a new aspect of history to the town. Surrounded by water −the Rhone to the west, the Midi Canal to the east− this near-island, set on a triangle of land, is immediately imposing. Far removed from all things Roman, the triangular form responds, however, to the perfect oval of the amphitheatre of the old town, echoing the brutal geometries of the configurations of the new town. From a geographical point of view, the island harmonises with the urban context.
The triangle responds perfectly to the design which demanded both a short and a long route. The design is integrated logically in this form, with three sections: the scientific (catering operations, temporary exhibitions and stock, in addition to the school of excavation); the cultural (where teaching takes place, the library, conference room, administration, and foyer) and finally, the school for museum guides. These elements constitute two buildings which between them contain the museum proper.
The main façade is perpendicular to the sluice gate of the Midi Canal, which enables the building to be anchored to an artificial element. This first wall, facing onto the old town, is not well-developed. It is the original element of the project as well as the facade of the immense juxtaposing Roman circus where excavations are taking place. Behind lies the cultural wing, a white building, set against the heart of the city. The second facade looks onto the canal and dominates the scientific wing which is oriented towards the point of the near-island. This area, facing the Rhone, introduces the museum with its extension facing the town.
In the centre, the patio contains a grand staircase which is incorporated into the roof detail thus completing the museographic route. This element fills the central void, giving direction to the helix while at the same time rendering it complete. The roof comprises the fourth facade of the building, as important as the three others and revealing in terms of internal organisation on account of the skyward lighting system.
The architecture as a whole is very dependent on the quality of light. A group of open shed-roofs to the north directs the light from the perimeter of the facade. This type of lighting, borrowed from the industrial world, has endowed the museum with architectural ingenuity. Here waves of white homogenous light seem to ripple, escaping to the ceiling. Another type of light is obtained by brackets which capture the sunlight and give it a more textured colour. Finally, the so-called 'view' lighting enters through openings framed by the countryside.
The blue building panels give this light a somewhat cold quality. This material and this colour were already present in the most ancient projects (notably that of the Opera-Bastille) where they conformed with a precise syntax (blue for the contextual elements, red for the functional areas). In Arles, the blue colour refers more simply to the intense colour of the provincial sky.
Since the time of the competition in 1983-84, the evolution of the design has confirmed the pertinence of the triangular form. What was the Museum of Ancient Arles has now become the Institute of Research for Ancient Provence. The museum has expanded from 6,000 to 7,400 square meters without detracting from the initial concept.

Henri Ciriani
in Architectural Design Profile N°12, 1996

30/40 ANS INTERVIEW DANS CREE N°133 DE DECEMBRE 1989

L'entretien ci-dessus fut publié dans un numéro d'Architecture Intérieure CREE consacré aux jeunes architectes français:

"30/40 ANS, les chemins de la reconnaissance"

Le numéro publiait également plusieurs projets d'anciens élèves de Ciriani tels que:
Pierre BOLZE-Simon RODRIGUEZ-PAGES: Institut de recherche en communication optique à Limoges
Michel BOURDEAU: Reconstruction d'un bureau de poste + 32 logements à Paris XXe
Jean DUBUS (associé à Jean-Pierre Lott) : Ambassade de France à Nairobi
Denise DUHART-Jacques RIPAULT: Reconstruction de la poste centrale du XIXe + 35 logements
Xavier GONZALEZ (associé à Olivier BRENAC) : Reconstruction d'un bureau de poste + 27 logements à Paris XXe



Ci-après la transcription de l'entretien pour en faciliter la lecture

ARCHI-CRÉÉ. Pouvons-nous d'abord recomposer le paysage des années 70, lorsque vous avez fondé UNO?
Henri Ciriani. Nous sommes quelques-uns −Gaudin, Castro, Huet, Grumbach, moi-même... à avoir inventé en 68 ceci: que l'architecte est celui qui pense... Souvenez-vous des premiers concours du PAN, lorsque Portzamparc, Lion Paurd ou les Girard travaillaient sur la Roquette... Ces projets énonçaient publiquement des idées, faisaient avancer la réflexion pour tous... C'est aussi dans ce climat que j'ai pris, comme enseignant la décision de ré-enseigner la forme et l'espace, c'est-à-dire la maîtrise du projet... avec pour but de former ainsi une "élite". J'ai donc voulu construire un enseignement qui produise des "pur-sang".

C'est-à-dire?
Un lieu où l'étudiant apprenne que l'on peut éternellement améliorer le projet. Avec du travail, et grâce à la maîtrise de la forme.

Pour beaucoup d'observateurs, cet apprentissage de la forme est un peu restrictif... On reproche aux "petits Ciriani" de ne produire que du néo-Corbu et  ne pas pratiquer beaucoup de dialectique.
Je répondrai, pour que nous ne réduisions pas cette question à un simple phénomène de "médiatisation", que tous mes étudiants ont effectivement l'air d'avoir appris quelque chose. Ils ont reçu une vraie formation, et sans doute cela se voit-il... Ceci posé, il est exact que j'ai "idéalisé", volontairement, Le Corbusier dans mon enseignement. C'est parce que je ne ménage par ailleurs personne: les étudiants apprennent à critiquer, très durement, les projets des autres architectes, même ceux qui sont très reconnus historiquement, et cela au risque de mettre en cause leur vision de l'architecture. Mon fonctionnement, à moi, est dialectique...: c'est parce que je mène cette critique très sévère que je dois, par ailleurs, proposer un modèle absolument positif aux étudiants. Le Corbusier. Mais, ce faisant, ce n'est pas une "ligne" que je transmets mais une morale.

Conservez-vous des liens avec vos anciens étudiants?
Absolument. Ils savent tous que mon temps est à eux, comme lorsqu'ils étaient à l'école, s'ils veulent venir discuter d'un projet. Sans que ce soit évident, ils ont vécu avec moi un enseignement marginal, ils partagent une certaine forme de lutte. Nos rapports ont tissé des liens de générosité, comme l'architecture.

Sortis d'UNO, vos étudiants adoptent le profil de "bêtes à concours (publics)"...
Je ne dirais pas cela. Selon moi, les vraies bêtes à concours aujourd'hui sont ceux qui dessinent un peu ou pas du tout, et font du concours lui-même l'objet du projet... Je reviens à ce que je disais des premiers grands concours: cette rébellion, cette générosité qui étaient alors partagées, quand Buffi introduisait la Tendenza, quand les concours comme celui de la Place Napoléon, de la Roquette, ou les P.A.N. IX, X, XI, etc., étaient le lieu de rassemblement du pouvoir de proposition des jeunes architectes et non comme aujourd'hui le lieu des défilés de mode. Les jeunes architectes sont aujourd'hui incapables de telles actions.

Les trouvez-vous à ce point abêtis?
Non... Au contraire, j'en trouve certains brillants. Mais la capacité de se renouveler, de savoir traduire des émotions, dépend du cœur autant que du cerveau... Il faut reconnaître que la société les épuise, avec ces concours, à se battre entre eux. Ils finissent par développer "l'instinct du tueur" plutôt que la nécessaire générosité.

Mais cette absence de générosité n'affecte-t-elle pas tout le milieu? Les leaders de l'après 68 dont vous parliez, ont-ils "continué le combat"? Ils sont aujourd'hui aux affaires, et le consensus qui règne a gommé tout débat d'architecture... Quel modèle de rébellion généreuse" offrent-ils?
Nous sommes condamnés au silence depuis que la Gauche est au pouvoir, puisque nous la soutenons... Et il est vrai que nous sommes devenus des architectes officiels, et que le propre d'une architecture officielle est de ne pas s'expliquer. D'être une évidence sans intelligence, sans contestation.

Comment vivez-vous, vous, cette dimension officielle?
La grande différence est que je suis, moi, enseignant aussi... Je me sens plus que responsable de ces personnes que j'ai formées, et c'est pour eux que je fais des concours ou des projets... Pour qu'ils aient des repères. Parce qu'ils doivent faire mieux que moi. Ils le savent.

À propos de concours: vous rappeliez tout-à-l'heure avoir voulu former des "pur-sang", c'est à dire des gagneurs, et les architectes issus d'UNO ont effectivement tenu longtemps le haut du pavé. Mais d'autres architectes, d'autres réponses se sont imposés depuis: Nouvel, Koolhaas... et leurs élèves. Comment analysez-vous ce retournement?
Il se trouve qu'un certain nombre d'instances politiques puissantes sont aux mains des designers.

Soyez plus explicite...
Aux mains de gens qui jugent l'architecture avec les critères du design. Et qui produisent ce que j'appelle l'architecture de roue de bicyclette, ou des objets non situés négligeant la géographie ou la physique.

Cette réponse suffit-elle? Vous évoquiez cette décennie d'après 68, où l'architecte sut s'ériger en intellectuel. Jean Nouvel, Rem Koolhaas sont bien de cette race...
Il est indéniable que s'il y a une "pensée" dominante en France, c'est celle de Koolhaas, même si on ne le suit que sur le visuel... Et Nouvel est effectivement un architecte qui pense, mais dont la pensée est plutôt issue de la Biennale de Paris ou de l'art conceptuel, alors que nous, les enfants de 68 partagions, malgré nos approches formelles diversifiées, le besoin de responsabiliser l'architecte sur son rôle social. Jean Nouvel est aussi le meilleur élève de Bofill −le premier à avoir compris que dans un système à ce point médiatisé, c'est l'architecte qu'il faut "vendre", pas l'architecture. C'est le nouveau chef d'orchestre, à la place de l'usager on met en place le littéraire, le politique, le financier, l'artiste, le designer, le philosophe, le journaliste, le fils de pub et d'autres pour participer activement au processus.

L'agence Nouvel fut aussi une pépinière de jeunes talents, qui essaiment aujourd'hui. Aviez-vous connaissance à UNO, de cette autre "écurie de pur-sang"?
Il y a eu effectivement une époque où l'agence Nouvel est devenue de fait le laboratoire des grands projets culturels du gouvernement... C'est là qu'on venait les discuter... Les jeunes architectes qui ont vécu dans cette atmosphère de réflexion et de projets ont certainement appris quelque chose.

Et ils "s'opposent" aujourd'hui à vos élèves dans les concours... Que pensez-vous de ces luttes de pouvoir?
Qu'elles sont prises dans une médiatisation généralisée, qui offre une nouvelle ère académique. On peut reprocher à un élève de Ciriani de ne plus être dans l'"air du temps"... Mais qu'est-ce que c'est, l'air du temps, sinon la pensée dominante? Ceci étant, je ne reste pas sans réagir... Cette année, lors du cours introductif du Groupe Uno, j'ai dit à mes nouveaux élèves quelque chose que je n'avais jamais dit: "l'architecture ne suffit pas"... A ces étudiants −qui ne lisent plus, qui ne pensent plus−, je demanderai désormais d'apprendre aussi à énoncer: un mot, une phrase, un slogan... qui puissent passer dans les revues, la radio, la TV, pour défendre ou expliquer le pourquoi de leur projet. Puisqu'il faut en passer par là, nous le ferons.

Cette réaction est effectivement combative... Mais la conception d'un slogan ne se substitue pas à celle d'une pensée... Pourquoi semblez-vous renoncer, vous, à former des architectes qui pensent?
Il est vrai que j'ai toujours eu du mal à ma reconnaître comme "maître à penser", même si cela peut arriver. Pour moi, il est plus important que les étudiants reconnaissent l'indépendance de ma pensée par rapport à la pensée officielle, qu'ils retiennent plutôt l'attitude que la doctrine. L'enthousiasme que je crois leur communiquer n'est pas comparable à celui d'un moniteur de vacances mais la logique action d'un univers intellectuellement vivant sans lequel toute ma méthode manquerait son but.
Il est aussi vrai que les mécanismes du "projeteur" sont si difficiles à cerner que toute mon énergie passe à les découvrir, puis à les expliciter. Former des architectes qui pensent n'est toujours pas un pléonasme.