Je crois fermement
que l'objectif de la pédagogie de l'enseignement de l'architecture est de
conduire l'étudiant à une projétation consciente --où il "se voit
faire" et idéalement "se surprend". Je pense donc que l'art de
représenter2 est intimement lié à toutes les étapes de la formation
d'un architecte. Je pense aussi qu'il n'y a pas d'architecture sans projet
d'architecture, ce qui me conduit à traiter plutôt de la représentation dans
l'enseignement du projet d'architecture. Si la représentation architecturale ne
peut se substituer à la projétation, pour laquelle on prépare l'étudiant par
des exercices qui lui permettent d'acquérir les outils nécessaires à sa
pratique3, il est néanmoins capital d'apprendre à l'élève architecte
à traduire correctement une volonté projectuelle. Trois phases vont définir cet
apprentissage:
a) prise de contact avec les outils de la
représentation;
b) prise de conscience de la nécessité et
de l'objet de leur maîtrise;
c) la maîtrise.
Phase a. Les outils de la représentation
sont donnés à manipuler au début pour permettre à l'étudiant d'acquérir la
capacité de représenter habilement. A ce stade, il faut que l'étudiant
travaille mécaniquement sans se soucier de la représentation fidèle. A l'aide
d'outils précis mis à sa disposition et de la géométrie orthogonale imposée, il
atteindra un rendement porteur d'assurance qui lui permettra de s'identifier
avec son travail et donc, d'y trouver du plaisir. En retour, le plaisir éprouvé
devant le représenté fournira la motivation nécessaire au travail. Cette
dynamique est à mon sens caractéristique du rapport étroit et incontournable
qui lie le travail d'architecture à sa représentation. Si bien que cette phase
est analogue à l'initiation au dessin artistique; il est capital de clarifier
d'emblée dans l'esprit de l'étudiant les points de convergence aussi bien que
la différence fondamentale entre les deux représentations, sans quoi
l'équivoque s'installe chez lui et le poursuivra dans sa pratique future4.
Je passe sur les points de convergence évidents. Le dessin d'architecture se
distingue fondamentalement du dessin artistique en ce qu'il n'est qu'un
instrument indispensable du passage du concept à la concrétisation et
prédominant dans l'œuvre construite.
Manipuler des outils différents, par Christine EDEIKINS, (UP7) - clichés de l'auteur
Phase b. L'étudiant ainsi outillé et motivé pourra aborder la seconde phase qui constitue l'entrée en matière de la représentation architecturale. A ce stade l'étudiant apprend à représenter pour expliquer une volonté. Une fois qu'il a assimilé le dessin géométrique l'étape suivante consiste à rendre l'étudiant conscient de la valeur codifiée des graphes géométriques, et lui permettre de jouer avec la "valeur ajoutée" de certains signes5. C'est à partir de ce moment que la conscience de représenter au moyen de codes signifiants est structurée dans l'esprit de l'étudiant. Cette phase est primordiale car elle doit aboutir à convaincre définitivement l'étudiant de ce que la représentation n'est pour l'architecte qu'un moyen et surtout pas un objectif. Cette conscience lui permettra de distinguer entre le dessin -sujet du travail, et le dessin-illustration de l'idée ou volonté spatiale. Parallèlement à l'analyse graphique, la représentation des éléments de base de la constitution des espaces (point, ligne, surface, volumes…) est introduite sous forme de maquettes afin de simuler l'espace de manière moins abstraite. Ces exercices ont un double objectif: développer la capacité de représentation de l'étudiant, sa facilité à manipuler des outils différents, mais aussi lui permettre de découvrir sa préférence pour l'un ou l'autre des moyens de représenter un projet.
Texture, rythme, contraste..., par Véronique LOURS (UP7 - 2e année)
Une
fois cette compétence acquise, l'étudiant pourra être confronté aux déclinaisons
de la représentation graphique, cette gamme du travail sur deux dimensions où
il pourra saisir les rapports qui lient les attributs formels des éléments de
base au domaine relationnel morphologique: les textures, le rythme, le
contraste, les lignes de force, les réductions ou synthèses, les inversions,
etc. L'étudiant peut ainsi comprendre aisément que la représentation est au
centre de toute préoccupation architecturale, que cette représentation se situe
dans un champ graphique très vaste (presque inépuisable), que ce champ
correspond à la discipline de la communication visuelle, mais que l'architecte
l'utilise à sa manière, et d'abord comme moyen pour adhérer à ses propres
idées, comme un test en quelque sorte. En même temps la richesse du champ
visuel va intervenir sur le plan de l'apprentissage, en initiant l'étudiant aux
possibilités offertes par les matériaux dans la qualification des espaces ou de
leurs parois constituantes. Si ce travail se poursuit par des confrontations
avec le concret, le cerveau arrive à opérer les corrections nécessaires à la
représentation mentale correcte de l'objet absent. Il peut arriver que la
représentation crée une dynamique projectuelle. On se trouverait alors devant
une situation où la représentation cesse d'être un moyen pour devenir un
instrument de la projétation
Représentation: instrument de la projétation, par Jean-Paul ROBERT (UP7 - 5e année)
C'est
un outil à manier avec précaution. Et si je situe la problématique de la
représentation au début de la formation de l'étudiant c'est bien parce que
c'est à ce moment-là qu'apparaissent les principales perversions du projeteur,
celles qui vont le dévier de sa trajectoire formative et, hélas! si
l'enseignant n'y prend garde, fausseront la lecture du travail, soit parce que
l'on peut confondre dextérité de dessinateur et intérêt du projet, soit parce
que l'on peut se satisfaire du dessin comme substitut du projet.
Le goût de la géométrie, par Maxime KETOFF (UP7 - 4e année)
Phase c. Outillé, motivé, conscient,
l'étudiant pourra parvenir à dominer les instruments qu'il aura sélectionnés
pour se manifester en tant qu'architecte. La maîtrise de la représentation
architecturale est concomitante de celle du "langage" d'un architecte.
Plus grande sera sa capacité à s'exprimer, à communiquer sa volonté, mieux
pourra-t-il "se reconnaître" dans son produit architectural. Si dans
cette étape de l'apprentissage, les "règles du jeu" n'étaient pas
claires dans l'esprit de l'étudiant, si elles n'avaient pas été introduites par
le professeur dans des objectifs pédagogiques bien précisés, la représentation
cesserait d'être un élément d'analyse scientifique mis à la disposition de
l'enseignement, pour devenir un code subjectif sans maîtrise possible. Pratique
courante avant 68, elle guide de nos jours bon nombre d'enseignants pour qui un
"bon rendeur" est un architecte, un "joli dessin" un
projet. L'acte architectural est dans ces cas-là supplanté par le graphisme.
Alors que la représentation maîtrisée, consciente de ses limite, mais cherchant
toujours à les dépasser, constitue un atout majeur de l'architecte en devenir
qu'il nous est donné d'encadrer. L'étudiant qui a acquis cette maîtrise, qui a
su la situer dans ses limites instrumentales, est mieux équipé pour échapper
aux fluctuations de la mode auxquelles il sera constamment exposé
"Se reconnaître" dans son produit architectural, par Michel BOURDEAU (UP8 - 6e année)
Il
est intéressant de constater que les effets de mode sont très souvent inspirés
par les modes de représentation. Et généralement il s'agit de styles graphiques
faciles à reproduire, ou donnant au suiveur l'impression de posséder de grands
moyens. On voit aussi l'utilisation d'une même technique représentative dans
des situations diverses, ou pour exprimer des matériaux différents. Alors que
l'idéal serait d'être capable de trouver des moyens de représentation
différents pour une même cohérence architecturale, le style étant défini par
les articulations, par une certaine manière de mettre en ordre la forme, et
non, comme certains le croient, par la manière de la représenter.
"Se reconnaître" dans son produit architectural, par Frédéric SCHOELLER, (UP8)
Ce rapide
tour d'horizon de l'enseignement de la représentation tel que je le pratique ne
serait pas complet sans une mise au point qui s'impose à ceux qui s'intéressent
à la représentation du projet d'architecture. L'importance accrue que l'on accorde
à la présentation des projets, qui est due d'une part à la réaction salutaire
contre la période de castration créative où le projet même était banni des UP,
et d'autre part à la pression qu'exercent les médias spécialisés et les
galeries et musées d'architecture qui pullulent un peu partout, ne doit pas
nous conduire à privilégier certains modes de représentation -parce que plus attirants pour les fans ou plus
accessibles aux non initiés- au détriment de l'outil essentiel
que constitue le plan dans la projétation et dans l'enseignement.
De toutes
les représentations utilisées en architecture, il est bien évident que c'est le
plan qui doit fournir l'essentiel de l'information. Or, le plan est en même
temps un moyen de représentation abstrait, réglé par une convention culturelle
qui, si elle est performante au regard des données quantifiables (surfaces,
distributions…) n'est d'aucun secours pour transmettre des indications sur
l'espace architectural moderne. En effet, si dans l'architecture prémoderne les
murs porteurs et les limites édifiées de certains espaces présupposaient le
système constructif (coûtes, coupoles, etc.), si dans l'architecture
traditionnelle japonaise le plan informe aussi sur le toit, depuis le
bouleversement apporté par les progrès techniques dans l'art de bâtir, il est
devenu fondamental de procéder à une analyse de la représentation en plan pour
améliorer son potentiel de communication et développer les moyens pédagogiques
de son apprentissage.
Améliorer le potentiel de communication du plan,
par Christophe AUBERGEON (UP7 - 3e année)
par Christophe AUBERGEON (UP7 - 3e année)
Le premier
avantage du plan est de laisser à l'observateur la liberté de choisir ou de
découvrir un point de vue puisque l'information sur toutes les composantes y
est donnée sans orientation préférentielle. Alors que dans certains cas la
figure du plan peut induire une lecture erronée
de l'espace -par exemple un faux rapport
d'alignement entre deux murs lorsque ceux-ci sont coupés perpendiculairement
par une opacité- dans le cas du plan d'un édifice
moderne cela permet aux transparences de se soustraire à la prééminence de la
périphérie, et à la structure de ne plus évoquer le cloisonnement ou l'opacité.
On voit donc comment le plan peut perdre peu à peu son rôle culturel
d'information sur la fonction pour devenir la représentation de la stratégie
spatiale. Mais dans sa convention actuelle -section prise à un mètre du sol- le plan est incapable de représenter aussi bien les
différentes strates horizontales superposées des parois lorsque celles-ci sont
libérées de leur rôle structurel, que les extensions verticales que cette
liberté autorise désormais, le pointillé étant une faible représentation de
l'écart dimensionnel. Il est intéressant de noter que la convention des
constructeurs -section prise à la limite inférieure
des planchers- représente une évolution dans la perception
en plan de l'espace (le haut et le bas simultanés). Il nous reste à trouver une
nouvelle représentation en plan aussi performante que l'ancienne si l'on ne
veut pas que la représentation des techniques constructives se substitue à la
représentation architecturale.
Recherche sur la représentation du plan en hauteur, par Laurent BLUWOL (UP8 - 6e année)
D'aucuns
croient pouvoir compter sur l'ordinateur pour les assister dans la projetation.
Il faut se rendre à l'évidence: si les tâches mécaniques et laborieuses, les
manipulations exhaustives, sont facilement assumées par l'électronique, en
revanche la possibilité de maîtriser la stratégie spatiale du projet dépendra
toujours du plan; et le plan tel que nous le pratiquons n'est pas adapté aux
exigences projectuelles de l'architecture moderne, qu'il soit dessiné par un
être humain, un ordinateur ou un robot. Il est donc impératif de faire évoluer
le plan qui est un outil projectuel et pédagogique, d'autant que les autres
formes utilisées pour représenter un projet (coupes, élévations, perspectives,
axonométries) suivent plus facilement l'évolution des techniques constructives
et représentatives.
Manipulation spatiale en perspective, par Laurent BLUWOL (UP7 - 4e année)
Je voudrais
ajouter que la difficulté de représenter ne doit pas être un frein à la
création. Ce n'est pas parce que certains espaces sont difficiles à représenter
qu'il faut prendre des raccourcis projectuels. J'évoque ici autant la
banalisation des espaces intérieurs des constructions modernes, que le retour
en force des espace anachroniques comme réponse à cette platitude. Les deux
attitudes sont inacceptables à mon sens, par la capitulation qu'elles dénotent
et le détournement de valeurs qu'elles accomplissent. S'il faut admettre que
certaines situations spatiales échappent encore à la représentation, ce n'est
pas une raison pour les abandonner, bien au contraire. Il y va de
l'intelligence et de l'imagination de notre siècle.
Henri
Ciriani
Décembre
1984
Article
publié dans le catalogue de l'exposition "L'architecture en
représentation"
produite par
l'Inventaire général des monuments et des richesses artistiques de la France
Ministère de
la Culture, Février 1985 - ISBN 2-11-085006-X
______________________________________________________________________________
NOTES
1 Processus d'élaboration du projet
2 Entendu en tant que maîtrise et
manière
3 Cf. "Uno, unité pédagogique
d'architecture n°8, une année d'enseignement", catalogue de l'exposition
des projets d'étudiants du groupe Uno, qui s'est tenue à la Cooper Union de New
York en octobre 1983, édité par Enseignement et Pratique, Paris, juillet 1984
4 Voir à ce propos les simagrées si
chères à nos architectes "artistes" sévissant dans les villes
nouvelles, ou la primauté de la représentation frontale au détriment de la
création d'espaces qui caractérise l'architecture post-moderne, ou plus
généralement la difficulté qu'éprouvent certains architectes, qu'il soient bien
intentionnés ou opportunistes, à faire aboutir un projet dont le postulat de
base est un graphique.
5 On
prend, par exemple, un carré, figure équilatérale fermée, et on définit les
éléments signifiants qui lui sont attachés. Puis, en lui ôtant un côté on décèle
les variations opérées dans la perception de l'espace: l'ouverture,
l'orientation, la notion de seuil créées, etc.
Frédéric Schoeller nous a alerté d'une erreur qui s'était glissée lors de la publication de ce catalogue.
En fait, les illustrations ont été inversées, la première maquette montrée étant celle du projet de Frédéric Schoeller en 6ème année, qui fait partie de son diplôme:
Par contre, la deuxième maquette est celle du projet, en sixième année également, de Michel Bourdeau:
ERRATUM
En fait, les illustrations ont été inversées, la première maquette montrée étant celle du projet de Frédéric Schoeller en 6ème année, qui fait partie de son diplôme:
Par contre, la deuxième maquette est celle du projet, en sixième année également, de Michel Bourdeau: