LES LOGEMENTS PRÉFÉRÉS DE CIRIANI RÉALISÉS A L'A.U.A.

Réponses adressées à Nicole Eleb qui préparait l'exposition
"Une architecture de l'engagement: l'AUA (1960-1985)" à la Cité de l'architecture et du patrimoine

Quels sont tes logements préférés réalisés à l'AUA et pourquoi?

Indiscutablement, les logements que je retiendrais ce sont les opérations de "La Noiseraie" (Noisy 2 dans la nomenclature de l’agence) dans la Ville Nouvelle de Marne La Vallée (300 logements avant-projet 1975, livraison 1980), "La Courdangle" (SD1 à l’agence) dans la ville de Saint Denis (130 logements avant-projet 1978, livraison 1982) et Evry-Canal (Evry 2 à l'agence) dans la ville-nouvelle d'Evry (94 logements avant-projet 1981, livraison 1986).

 NOISY 2

Cette réalisation est le résultat d’un travail initié dans les années 70 : le concours d’Évry en 1971-72 (7000 logements), la rue intérieure (construite) de la Villeneuve de Grenoble en 1969-75 et Noisy 1 en 1973 (900 logements, projet arrêté à l’APD) à Marne la Vallée.

 La nouveauté et l’importance des projets qui précèdent Noisy2 proviennent de la constitution d’une conscience urbaine, le passage d’une architecture dépendant prioritairement de systèmes constructifs ou de considérations sociologiques vers des logiques urbaines en redécouvrant l’importance de l’espace public (la rue) ainsi que la nécessaire présence d’une forme urbaine marquée.

Le concours d’Evry (Evry1 pour nous) coïncide avec l’influence de la pensée urbaine formelle de La Tendenza italienne (comme le projet de Gregotti avec Purini pour la ville de Florence) où apparait très clairement l’impact de la forme urbaine sur le territoire.

Evry1 renoue avec le monumental comme identité urbaine. Cette identité devait compter principalement avec les logements pour se faire.

La confrontation avec le Taller de Arquitectura de Ricardo Boffil fut importante pour secouer les préjugés idéologiques sur la forme de la ville; alors que l’expérience de la Villeneuve montrait qu’une trop importante participation du politique installait une certaine méfiance dans les issues formelles. Les logements, leur typologie et leur système constructif: simplicité des voiles (coffrage tunnel) parallèles écartés de 5.50/60m -perpendiculaires a la linéarité qui les organise- permettant les rationalisations de diverses typologies du projet d’Evry1, vont devenir pour moi une constante.

 Noisy 1, Ce premier projet de logements sur un terrain d'un des promoteurs du concours d'Evry, le Foyer du Fonctionnaire et la Famille, qui fut établi par l'équipe Ciriani-Corajoud-Huidobro associée à Paul Chémétov, visait à améliorer le rapport des logements a l’espace rue, considéré comme un manque dans la Rue Intérieure de la Villeneuve. Nous avons donc trouvé une spatialité linéaire suffisamment haute pour intégrer les premiers niveaux des logements. Cette présence de la vie, d’une part, la vue réciproque des logements et la forme prédéterminé de l’espace public, feront par la suite référence et structure dans l’approche initiale de mes projets.

Noisy 2  tente de répondre, au milieu des années 70, à l’attente créée par les théories de l’architecture urbaine en Europe à l’époque. Ce projet m’a permis de structurer les quatre points de ma théorie de la « pièce urbaine » qui allaient servir de base à ce que j’ai appelé plus tard « la Petite utopie », ou comment faire la ville maintenant que la ville idéale n’est plus possible. Les 4 points qui constituent la pièce urbaine sont :

1) Elle doit avoir une figure simple constituée notamment par des bâtiments linéaires ;

2) Elle doit produire une identité extérieure, i.e. la morphologie urbaine doit marquer son environnement, créer un contexte ;

3) Elle doit avoir un « dedans » à partir d’un effet d’entrée --souvent un porche-- menant vers une spatialité clairement intérieure.

4) Elle doit comporter au minimum un tiers de vert car la pièce arrive avec sa propre et nécessaire surface plantée.

 Cette réalisation marque aussi pour moi, outre le début de ma pratique individuelle au sein de l’AUA suite au départ de Michel Corajoud et la scission du binôme Ciriani-Huidobro, la fin des projets non aboutis ou non construits ce qui m’a permis de cesser d’être un « architecte de papier ».

 SAINT DENIS 1, La Courdangle

Ce projet permet mieux de saisir mes obsessions, lesquelles viendront s’ajouter aux éléments de  la structure de production du projet décrite ci-dessus pour Noisy 2. En résumant, ce projet se distingue parce que :

  • il innove en créant un espace intérieur commun avec des tours éparses existantes en installant une équerre très forte qui  intègre les tours en les obligeant à « compléter virtuellement » une figure orthogonale.
  • il tâche de corriger l'implantation irrégulière des tours environnantes en les intégrant visuellement : en façade principale, une longue et imposante horizontale dotée d’une claire ligne de faîtage intègre, à la manière d’une nature morte, les tours disparates, lesquelles apparaissent désormais comme des objets posés sur le toit.
  • il introduit des terrasses pyramidales dont l’objectif est de rendre les logements égalitaires en réduisant leur surface au fur et a mesure que l’on gagne en hauteur et que l’on bénéficie d’une meilleure vue.
  • la notion dite d'« échafaudage » fut développée pour déterminer librement la position des terrasses individuelles : une pré-façade, grille orthogonale détachée des volumes des logements, est rejointe à la façade proprement dite par des plans horizontaux, formant ainsi des terrasses variées car cette implantation permet des superpositions très libres.
  • il crée des circulations intérieures sur 7 niveaux éclairées zénithalement ; c’est un espace vertical majeur situé à l’angle de la cour qui donne son nom au projet. Cet espace permet de relier l’intérieur et l’espace jardin attenant à l’extérieur où, l’angle de deux rues, est surplombé par un porche sous forme de balcon rattaché à l’immeuble par une longue rampe et un escalier très large.
  • il donne à la couleur un rôle important : la couleur « bleue gauloises » fut trouvée pour faire apparaitre les surfaces intérieures dans les façades, créant ainsi une épaisseur visible des parois entre la façade de l’espace public et celle du bâtiment, ambigüité dont se nourrit l’architecture urbaine moderne. Le rouge/brique et le gris/béton de la façade principale s’avancent vers l’intérieur et partagent avec le bleu/gauloises l’espace commun intérieur, le rouge symbolisant la terre et le bleu du ciel laissent au blanc des balcons la tâche de leur harmonieuse articulation.

 Evry 2  Courcouronnes

Anecdote : Luc Thomas, l’architecte responsable du secteur Courcouronnes à Evry m’appelle au téléphone et me dit : Ciriani, j’ai besoin d’une valise qui laisse passer à travers et c‘est toi qui sait faire un trou dans un bâtiment (commande directement reliée au porche de Noisy 2). Il faut dire qu'à l’époque, on donnait les opérations aux architectes sans concours…

 Cette opération avait d’importantes responsabilités urbaines : a) Être le fond de perspective d’un plan d’eau long de 300 m et  b) créer un passage public vers un parc se trouvant derrière, le tout n’ayant que des logements HLM comme programme.

Je me suis inspiré de Garnier à l’Opéra, qui pour « tenir » sa grande avenue a dû reporter le poids de la façade vers le haut, la colonnade haute domine (des  arcades à l’étage) pour s’adresser à une grande distance (l’avenue de l’Opéra). C’est pourquoi mes volumes pyramidaux sont inversés, avec la base en haut. Cette option donne lieu à un jeu de terrasses allant de 8 à 12 m2 pour les logis des niveaux 3, 4, 5 et 6 car les niveaux 1 et 2 bénéficient d’un jardin sur socle.

 Il fallait une façade à résonance publique. Nous l’avons tramée et construite comme du papier millimétré (volonté de montrer une certaine fierté de pouvoir réaliser pour des logements sociaux une impeccable exécution). D’ailleurs, des passants se manifestaient pour acheter étant surs d’être devant une opération privée de standing.

 La logique volumétrique (des tours accolées avec un portique au milieu) vient de Noisy, mais la hauteur maximum de 6 niveaux (au lieu des 7 niveaux à Marne) nous obligea à adopter une logique tripartite différente : duplex en bas et en haut  et flats au milieu. Nous avons aussi pu améliorer les halls d’étage en leur donnant accès à la lumière naturelle et à la vue.

 En remontant légèrement le premier niveau on a pu donner une bonne hauteur au passage public tout en séparant clairement les accès aux halls d’immeuble de part et d’autre.

 Quelles convergences et divergences trouves-tu avec les autres architectes de l'AUA?

Il m’est difficile de situer mes projets de l’époque par rapport à ceux de mes associés de l’AUA. Comment les comparer à ceux de Deroche, de Perrottet de Chemetov ou de Loiseau-Tribel ? Je laisse cette analyse aux critiques. Ce que je peux dire c’est que le respect pour des typologies ancrées dans une logique sociale qui se manifeste dans la couleur des matériaux et les matériaux eux-mêmes, est dans l’esprit commun que nous avions tous à l’AUA. Par contre, l’intention rationaliste de produire une pièce urbaine, sa nécessaire figure (à St.Denis une équerre, à Marne les barres), cette volonté de faire en expliquant, va montrer, peut-être, ce qui peut différencier mon approche de celles des autres membres de l’AUA. Mais sans aucun doute, ce que nous partagions, c’était un commun désir d’améliorer le cadre bâti de la France et de prendre part dans les luttes sociales pour y arriver, que ce fût dans le cadre d’un parti ou celui d’un syndicat.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Veuillez joindre votre adresse email, SVP.
Sírvase dejar su correo electrónico si desea una respuesta, por favor.