REFLEXIONS SUR LE DESSIN D'ARCHITECTURE

 J'ai toujours eu la conviction que le dessin d'architecture a comme fonction première de représenter de tout représenter, depuis ce qui n'est pas clair jusqu'aux images les plus vraisemblables de la réalité physique. Moyen de représentation, le dessin d'architecture est aussi pour moi un moyen d'investigation et une source de plaisir. Et puis, l'architecte qui dessine facilement, qui aime ce qu'il dessine, n'est jamais seul. Cette intimité entre l'architecte et son dessin favorise une dynamique créative entre la projétation et la représentation et une interdépendance conflictuelle que le cerveau projectuel devra contrôler.

En tant que moyen de représentation, le dessin "parle" autant du projet que du projeteur. J'ai toujours pratiqué le dessin réaliste. Il est né de ma lutte avec le temps. Il permet de dominer un temps que l'on ne maîtrise pas, de voir tout de suite, d'exprimer les matières, d'apporter la lumière, de "donner vie". Le plaisir que j'éprouve à dessiner des ciels provient de la prise de conscience que le rapport au ciel est la première dimension de l'architecture. Mon dessin m'a aussi permis pendant des années d'équilibrer l'impossibilité de construire. Comme moyen d'investigation, le dessin est pour moi indispensable. Je suis incapable de concevoir au travers du dessin des autres. Je ne peux déléguer que lorsque le projet est entièrement défini par mes dessins.

Cette recherche par le dessin s'accompagne toujours de plaisir. Au tout début le plaisir vient lorsque l'angoisse de mal représenter est vaincue. Puis, jeune architecte, on dessine beaucoup, pour se connaître, pour découvrir ce que l'on veut faire, on apprend en dessinant. A cette époque le dessin comporte une force qui précède l'imagination parce que c'est u ne période incertaine et parce que le cerveau projectuel ne s'appartient pas encore, il est en proie à toutes sortes d'influences, le dessin aussi. Quelques vingt ans après, j'ai constaté qu'un accord s'était établi entre la nature du dessiné et celle du représenté. Le dessin ayant affirmé "sa" manière, le cerveau son autonomie, le dessin s'applique à rendre visibles les produits de l'imagination créatrice. Lorsque cette unicité sujet-objet est atteinte, on est pris par un nouveau plaisir, le dessin prend une autonomie équilibrante qui nous permet de dépasser l'utilitarisme contraignant de notre métier. Mais cette ivresse peut s'avérer néfaste; le dessin maîtrisé tend à supplanter la création, soit en privilégiant ce qui est totalement représentable, c'est à dire la partie extérieure du projet, soit en reproduisant un vocabulaire déjà assimilé. Ce n'est qu'en maintenant le dessin dans sa fonction instrumentale que l'on peut créer à chaque nouveau projet. Je m'aperçois, par exemple, que lorsque l'un ou l'autre de mes projets a représenté une avancée dans mon itinéraire projectuel --c'est le cas des concours d'Évry, de Bobigny et de l'Opéra-- les dessins n'arrivaient pas à reproduire au rythme voulu les formes projetées dans mon imagination. Dans ces cas-là, le dessin peut être un frein à la création. Il nous empêche de prendre le recul nécessaire pour apprécier le projet, pour faire ressortir la clarté du propos projectuel, car à tout projet correspond une manière de le représenter et ce mode conditionne la lecture de sa clarté. Ceci explique peut-être qu'en situation de "charrette", un projet novateur ne trouve pas sa représentation, ou, ce qui revient au même, que les projets "bien rendus" aux concours ne soient --à une exception près-- jamais révolutionnaires.

J'évoquerai aussi une autre conséquence de l'interdépendance projet-dessin. Alors que j'étais tout jeune, ces deux compétences étaient encore dissociées, et comme j'aimais beaucoup dessiner, je dessinais presque sans interruption. C'était autant mon passe-temps que mon moyen de subsistance, je n'éprouvais jamais du déplaisir à dessiner les projet des autres, cela m'amusait même. Mais au fur et à mesure que je développais mon mode de projeter, j'abandonnais le dessin "hors projet". Au point qu'il ne m'arrive pratiquement plus de dessiner autre chose que mon architecture, et il m'est depuis longtemps impossible de dessiner ce que je n'ai pas projeté.

Mon dessin aujourd'hui me représente, il est la règle visible de ma rigueur projectuelle, de mon assurance aussi. Il est devenus autobiographique.


Octobre 1983

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