Concours de l'Opéra-Bastille |
La véritable révolution
accomplie au XXème siècle n’aura finalement été que de nature technologique –et
non politique comme on pouvait l’espérer avant l’effondrement du modèle
socialiste en U.R.S.S. Cet état de fait prive les institutions nouvelles d’une
représentation idéologique. Ainsi, ce n’est plus un affront depuis longtemps
que de calquer un nouveau programme d’édifice public sur le modèle du siège
social d’entreprise, avec des espaces de travail répétitifs banalisés, qu’il
s’agisse des bureaux individuels ou de groupe, et des salles de réunion sous
forme d’auditorium lorsque sont impliqués des intervenants extérieurs.
Ah !
cette belle période où l’institution évoluait de pair avec les progrès
politiques et techniques, où le beffroi anticipait l’arrivée de l’ennemi, et
les carillons portaient l’appel au loin… Oublié, le temps où le discours
politique réclamait un balcon en vis-à-vis de la ville…
Autrefois, la communication
d’un bâtiment public nécessitait la présence, la puissance de son architecture.
Notre époque et le pouvoir se représentent mieux à la télévision et par
multimédia, aussi préfèrent-ils juger d’un édifice par des images
virtuelles : rien ne communique mieux, n’est-ce pas, que ce cher bel écran…
Que
la lucidité n’empêche pas l’optimisme : l’architecture peut rendre un édifice transcendant –c’est
vers cela qu’il faut tendre. Il s’agit d’utiliser le potentiel de la composante
publique de l’édifice pour apporter à la ville ce qu’elle nécessite le plus :
des lieux de partage, des lieux à partir desquels la mémoire collective puisse
se fonder, des lieux dont la permanence soit assurée par la communauté,
concernée toute entière par leur conservation. C’est l’appropriation collective
valorisante d’un édifice public qui peut lui donner son sens, son vrai sens.
Aujourd’hui, un édifice
public doit assumer des rôles architecturaux assez différents :
-
réussir une
nouvelle représentation institutionnelle qui tienne compte des pratiques
contemporaines, sociales et politiques, dans un registre formel et fonctionnel
à la fois ;
-
sauvegarder des
valeurs éternelles garantes de la permanence de l’édifice ;
-
pouvoir inclure
le futur de manière générale dans le projet, aussi bien fonctionnellement que
symboliquement et techniquement ;
-
réaliser la
symbiose entre l’espace de l’individu, celui des groupes et celui de la
communauté toute entière ;
-
réussir la
vocation de son programme tout en conservant une relative souplesse
d’utilisation ou d’affectation ;
-
intégrer la
vitesse, faire acte de contemporanéité ;
-
être capable
d’intégrer les technologies de la communication, toujours en très grande
évolution ;
-
dans le cas de ce
concours, être facilement repérable parmi son entourage proche, sans s’en
détacher pour autant : être un monument et s’intégrer au tissu urbain ;
-
enfin, pouvoir en
tant qu’édifice contribuer au progrès de la discipline architecturale.
Le
programme d’un édifice public devrait toujours faire la distinction entre les
éléments appelés à une grande fixité –due à leur fonction, à leur valeur de
symbole ou simplement à la difficulté budgétaire ou technique à exécuter– et
ceux dont la flexibilité apparaît comme une valeur en soi.
Les
premiers, nous les considérons comme les éléments typiques du programme, car ils représentent celui-ci : ils lui
donnent son identité, sans eux l’institution n’existe pas.
Les
seconds, nous les nommons les éléments atypiques
du programme, car ce sont ceux que l’on retrouve dans d’autres types de
programme : ils sont interchangeables et s’appliquent à d’autres
programmes. Ils désignent une autre forme de pérennité, qui touche non plus à
l’institution mais à l’activité humaine.
Les
parties typiques nécessitent une
formalisation adaptée : la forme
suit la fonction. En général, le typique
occupe une place importante de l’édifice public, et compose des espaces
fonctionnels de grandes dimensions, représentatifs et peu répétitifs. Toute
modification programmatique signifie des travaux relativement importants, ce
qui incite à situer de préférence le typique
en rez-de-chaussée.
Les
éléments atypiques sont le résultat
d’une analyse dimensionnelle où les conditions d’utilisation des espaces sont
pré-établies et souvent gérées par des trames constructives, avec de petites
entités répétitives : la fonction
suit la forme, car souvent l’atypique est le contenu banalisé d’une
enveloppe extérieurement déterminée.
Parce
que les parties typiques dépendent
entièrement de la survie de l’institution, et de la nécessaire évolution de sa
particularité programmatique, leur permanence est moindre que celle des parties
atypiques : les parties atypiques offrent une flexibilité
d’usage sans enjeu programmatique. Leur forme consiste en une enveloppe
extérieure qui s’assimile à un tissu urbain, un alignement sur rue, un axe
monumental, un pont, un quai, un viaduc, une muraille, un portique… et tout
autre élément constitutif de la morphologie urbaine. L’atypique acquiert ainsi une grande responsabilité
contextuelle : il doit révéler, exalter le territoire, lui donner sa cohérence,
en un mot : en regardant l’édifice, nous devons pouvoir comprendre le site dans lequel il s’inscrit.
Les
éléments typiques d’un édifice public
prennent naturellement place à même le sol, de façon à faciliter les accès, les
flux de personnes, les transports de marchandises, la sécurité du public. Les
éléments atypiques, en revanche, adoptent une dynamique
aérienne, se libérant de l’emprise au sol et franchissant la parcelle de toute
son étendue.
Paris, septembre 2002
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