FACE AU CANAL

 Quand le rapport de l'espace urbain à l'espace domestique se joue en termes d'architecture...              H. Ciriani fait d'un immeuble de logements dans la ville nouvelle d'Evry un "monument", une "porte", qui contribue à donner structure et signification à l'ensemble du quartier.


 
La ZAC du Canal à Evry est en train de devenir un quartier. Les différents éléments, un peu au large, un peu dans le flou d'un grand paysage horizontal, à mesure que s'achèvent et voisinent: le coup de poing du bel hôpital régional et son quartier déjà dense et urbain, les opérations de logement d'échelle modeste, soit petits immeubles, soit maisons de ville en bande, et surtout le canal, bassin de rétention des eaux pluviales qui trace une ligne claire et rigide. Un canal, un axe fort, presque un boulevard qui constitue l'élément topologique le plus marquant du secteur. Et voici qu'un événement nouveau bouleverse et recompose cet ensemble de signes épars. Au bout du canal, un immeuble-barre à la façade aérienne et énigmatique vient de s'achever, qui donne un appui à la perspective de l'eau. Il n'a d'ailleurs de la barre que la volumétrie d'ensemble, 6 niveaux sur 90 m de long. C'est là, sans ambiguïté ni camouflage sa typologie et son échelle, sa ligne.

Z.A.C. DU CANAL À ÉVRY                                                                                             © P.Gobert

Les données du site autorisaient ce programme de logements à jouer un rôle urbain important: la situation, à l'extrémité du canal, qui lui octroie l'emphase et le recul, de la perspective et du reflet, la présence de l'autre côté d'un vaste parc en cours d'aménagement qui doit être visible et accessible. L'immeuble doit ainsi être la porte urbaine, le signal de la relation entre deux espaces publics d'ordre différent. Il doit fermer la perspective et ouvrir vers le parc. Etre à l'échelle du site, très vaste, à celle de l'habitat qui borde le canal et à celle de l'usage quotidien du logement. "Pour tenir cet espace, bien supérieur à son prospect et pour jouer ce rôle urbain, il fallait que le bâtiment ait un poids formel très fort" dit H.Ciriani. Il était pour lui essentiel de "créer un figure capable de produire une identification immédiate".

                          Peinture de l'équipe G.R.A.U. à la Noiseraie        © MULT                               

Les bâtiments précédents de cet architecte, La Noiseraie à Marne-la-Vallée, la Cour d'Angle à Saint Denis, avaient déjà fait preuve de leur capacité à jouer un rôle important de marquage et de composition de l'espace, par leur silhouette, leurs solutions architecturales, leur perméabilité à l'espace collectif. Leur façade épaisse contribue à établir une relation formelle, théorique et pourtant bien réelle entre le dedans et le dehors, dont Ciriani bouscule les habituelles frontières: c'est-à-dire, que la limite du logement n'est pas celle de la façade. Celle-ci, en effet, est doublée vers l'extérieur d'une ou de plusieurs peaux décalées, découpées. Entre les deux, dans "l'épaisseur", des vides, des coursives, des terrasses.

Z.A.C. DU CANAL À ÉVRY                           © P.Gobert

A Evry, également, la façade est épaisse. Mais contrairement aux bâtiments précédents, la mise en scène dramatique et presque brutale fait place à une légèreté sereine, à un ordre subtil. La silhouette est nette, la proportion d'ensemble n'est brouillée par nulle émergence de toiture. La linéarité révèle une réalité structurelle plus complexe: le bâtiment est en fait composé de quatre plots. Les étages supérieurs en avancée équilibrent 4 pyramides inversées de terrasses enserrées dans la maille géométrique des voiles de façades. 2 jeux de matières se répondent: le béton blanc enduit, limite du logement, le revêtement de carrelage blanc, carroyage régulier d'éléments de placage pré-assemblés de 30 cm x 30 cm. Les limites du bâtiment jouent double jeu. La façade interne semble à la fois complétée et protégée par son double extérieur, le logement par le monument. Pour mettre en scène la porte vers le parc qui traverse l'immeuble, les voiles découpés se détachent de la logique domestique des terrasses. Côté parc, le registre est plus intime, avec des courbes, des percements symétriques.


La trame constructive est de 6 m x 6 m, la façade externe revêtue d'éléments modulaires; cette constante de mesures permet à la fois de maintenir le bâtiment dans un équilibre de proportions qui conforte sa tenue urbaine, de donner aux espaces intérieurs une aisance spatiale certaine et de contrôler au plus juste le coût de ce bâtiment assez spectaculaire dans son implantation, précieux dans sa matière et profondément riche quant aux espaces entre-deux qu'il recèle. Ainsi, les logements offrent des qualités appréciables: nombreux duplex, salles de bains et cuisines éclairées naturellement, surface souvent supérieure aux normes minimales, vastes terrasses accessibles. Le recul de la façade domestique par rapport à la façade urbaine, la volonté de composer à partir des contraintes du site leur donnent un caractère singulier, qui n'est pas vraiment une relation de dépendance, mais de complémentarité à la façade. La lumière surprend; les séjours s'ouvrent par de larges baies, en contrastes, des petites fenêtres, l'horizontale des bandeaux ou des impostes, les percées étroites des fenêtres d'angle diffusent une lumière mesurée. Mais la lumière ou plutôt les lumières pénètrent de biais jusqu'au fond du logement. "Plus que la quantité de lumière, c'est sa qualité qui compte, sa diversité..."  Henri Ciriani se refuse à réduire la qualité d'habiter aux habitudes d'habiter. Sa façade découpe le paysage en tableaux encadrés, le morcelle, le fait entrer dans l'espace du logement.


Contrepoint à l'immeuble, un rempart de 24 villas urbaines rouges et modernistes longeant le canal assurent la liaison avec l'habitat individuel voisin. Le registre architectural est également très volontaire, mais bien différent: c'est un front dessiné, avec des redans marqués sur lesquels se trouvent des terrasses. Les logements sont tous les attraits de l'indépendance. Ce sont véritablement des maisons de deux niveaux avec une qualité d'espaces délibérément nets et contrastés, qui se refusent d'entrer dans les typologies pittoresques de l'habitat individuel. Ne sont-elles pas un peu ces machines à habiter dociles et agréables à leurs utilisateurs dont rêvait Le Corbusier, tenant ici une modeste mais visible place dans la composition de la ville nouvelle ?

 

Article de Marie-Christine Loriers publié en janvier 1986 dans la publication "Habitat, Conception et Usage" du Plan Construction & Habitat, Échos de la recherche et de l'expérimentation n°1

CONCOURS BICOCCA MILAN 28/02/1986

 La création d'un nouveau système urbain et architectonique dans lequel le permanent serait associé au variable, la continuité au changement, le général au particulier, me semble indispensable afin de convertir la zone de la Bicocca en un centre technologique intégré et plurifonctionnel.

Par sa nature même, un projet urbain et architectonique réussi doit être en mesure de combiner ces dualités, comme c'est le cas de manière évidente dans les cités historiques, dans lesquelles le design global et homogène est ravivé par des traits particuliers qui confèrent à chacun des composants une identité propre. Ce n'est pas dans un sens nostalgique que je cite la ville historique en la désignant comme l'exemple à imiter aveuglément; loin de moi une telle intention. Dans la ville historique je reconnais un modèle urbanistique qui assure la réussite d'un développement futur, dans la mesure où elle offre les moyens d'éviter les erreurs commises dans un passé récent, parmi lesquelles on peut citer notamment le "Science Park", composé de tant de bâtiments "remplaçables" qui constellent une implantation presque rurale. Cette forme me semble tellement suburbaine qu'elle représente véritablement l'antithèse-même du centre technologique intégré vers lequel on tend pour Bicocca.

Ici --et, en réalité, pour toute la zone industrielle qui surgit autour de Milan-- on constate le besoin d'une nouvelle forme urbaine et architectonique, permanente et correctement définir, qui contienne la flexibilité programmée.

 

 

 

La notion de "centre technologique plurifonctionnel intégré" implique, plus précisément, une compréhension claire des types de zones de travail nécessaires pour le développement et la fabrication future des produits de haute technologie; soit, en termes fonctionnels, des zones où l'environnement s'adapte le mieux au confort, aux avantages pratiques et à l'image que recherchent les usagers.

 

 

 

 

Si on considère que, dans le future, même l'espace affecté aux activités de production sera organisé selon les modes qui sont traditionnellement associés au travail de l'employé de bureau, il me semble opportun de prévoir pour Bicocca, sous une forme relativement permanente, une grande proportion de produits manufacturés qui s'adapteraient à des fonctions de bureau/recherche/laboratoire. Dans le même temps, on doit réserver aux activités de nature plus variable des bâtiments de type temporaire ou semi-permanent. Ma proposition se base donc sur l'introduction d'une nouveau module de bureau/recherche/laboratoire, conçu comme épine dorsale permanente, analogue au design général et homogène du centre des villes historiques et apte à fournir le thème générateur qui serait en mesure d'assimiler le particulier constitué, lui, d'anciens bâtiments conservés et de nouveaux immeubles destinés à abriter des fonctions spécifiques à court ou moyen terme. (...)


 Projet d'Henri Ciriani au concours d'idées pour le pôle téchnologique sur le site des usines Pirelli à Milan appelé le PROGETTO BICOCCA

REFLEXIONS SUR LE DESSIN D'ARCHITECTURE

 J'ai toujours eu la conviction que le dessin d'architecture a comme fonction première de représenter de tout représenter, depuis ce qui n'est pas clair jusqu'aux images les plus vraisemblables de la réalité physique. Moyen de représentation, le dessin d'architecture est aussi pour moi un moyen d'investigation et une source de plaisir. Et puis, l'architecte qui dessine facilement, qui aime ce qu'il dessine, n'est jamais seul. Cette intimité entre l'architecte et son dessin favorise une dynamique créative entre la projétation et la représentation et une interdépendance conflictuelle que le cerveau projectuel devra contrôler.

En tant que moyen de représentation, le dessin "parle" autant du projet que du projeteur. J'ai toujours pratiqué le dessin réaliste. Il est né de ma lutte avec le temps. Il permet de dominer un temps que l'on ne maîtrise pas, de voir tout de suite, d'exprimer les matières, d'apporter la lumière, de "donner vie". Le plaisir que j'éprouve à dessiner des ciels provient de la prise de conscience que le rapport au ciel est la première dimension de l'architecture. Mon dessin m'a aussi permis pendant des années d'équilibrer l'impossibilité de construire. Comme moyen d'investigation, le dessin est pour moi indispensable. Je suis incapable de concevoir au travers du dessin des autres. Je ne peux déléguer que lorsque le projet est entièrement défini par mes dessins.

Cette recherche par le dessin s'accompagne toujours de plaisir. Au tout début le plaisir vient lorsque l'angoisse de mal représenter est vaincue. Puis, jeune architecte, on dessine beaucoup, pour se connaître, pour découvrir ce que l'on veut faire, on apprend en dessinant. A cette époque le dessin comporte une force qui précède l'imagination parce que c'est u ne période incertaine et parce que le cerveau projectuel ne s'appartient pas encore, il est en proie à toutes sortes d'influences, le dessin aussi. Quelques vingt ans après, j'ai constaté qu'un accord s'était établi entre la nature du dessiné et celle du représenté. Le dessin ayant affirmé "sa" manière, le cerveau son autonomie, le dessin s'applique à rendre visibles les produits de l'imagination créatrice. Lorsque cette unicité sujet-objet est atteinte, on est pris par un nouveau plaisir, le dessin prend une autonomie équilibrante qui nous permet de dépasser l'utilitarisme contraignant de notre métier. Mais cette ivresse peut s'avérer néfaste; le dessin maîtrisé tend à supplanter la création, soit en privilégiant ce qui est totalement représentable, c'est à dire la partie extérieure du projet, soit en reproduisant un vocabulaire déjà assimilé. Ce n'est qu'en maintenant le dessin dans sa fonction instrumentale que l'on peut créer à chaque nouveau projet. Je m'aperçois, par exemple, que lorsque l'un ou l'autre de mes projets a représenté une avancée dans mon itinéraire projectuel --c'est le cas des concours d'Évry, de Bobigny et de l'Opéra-- les dessins n'arrivaient pas à reproduire au rythme voulu les formes projetées dans mon imagination. Dans ces cas-là, le dessin peut être un frein à la création. Il nous empêche de prendre le recul nécessaire pour apprécier le projet, pour faire ressortir la clarté du propos projectuel, car à tout projet correspond une manière de le représenter et ce mode conditionne la lecture de sa clarté. Ceci explique peut-être qu'en situation de "charrette", un projet novateur ne trouve pas sa représentation, ou, ce qui revient au même, que les projets "bien rendus" aux concours ne soient --à une exception près-- jamais révolutionnaires.

J'évoquerai aussi une autre conséquence de l'interdépendance projet-dessin. Alors que j'étais tout jeune, ces deux compétences étaient encore dissociées, et comme j'aimais beaucoup dessiner, je dessinais presque sans interruption. C'était autant mon passe-temps que mon moyen de subsistance, je n'éprouvais jamais du déplaisir à dessiner les projet des autres, cela m'amusait même. Mais au fur et à mesure que je développais mon mode de projeter, j'abandonnais le dessin "hors projet". Au point qu'il ne m'arrive pratiquement plus de dessiner autre chose que mon architecture, et il m'est depuis longtemps impossible de dessiner ce que je n'ai pas projeté.

Mon dessin aujourd'hui me représente, il est la règle visible de ma rigueur projectuelle, de mon assurance aussi. Il est devenus autobiographique.


Octobre 1983

APPRENDRE À CONSTRUIRE LA VILLE CONTEMPORAINE

 Une entrevue avec Henri Ciriani, rapportée par Georges ADAMCZYK

L'enseignement du groupe UNO est très articulé. On peut parler ici d'un projet pédagogique car votre démarche inclut autant l'apprentissage du métier et les connaissances qui y sont reliées que la prise de conscience progressive du contexte politique et moral de la pratique architecturale. Cette position dans le champ de l'éducation architecturale en France est singulière. Pouvez-vous nous situer les bases critiques et historiques de votre programme ainsi que les thèmes qui y sont abordés?

La première question, avant toute autre chose, c'est celle de savoir à qui on enseigne? Ici, on enseigne à des Français, c'est à dire qu'on enseigne à un peuple, à une société qui avait développé la seule école d'Architecture du monde. Ce n'est donc pas à n'importe qui! Mais on enseigne surtout à ceux qui ont été les plus perturbés par la disparition de cette même école. Il ne s'agit donc pas d'un enseignement professionnel. Il faut prendre cela sous un angle historique. L'importance mondiale de l'École des Beau-Arts tient à deux raisons simples. Premièrement, la France était une Nation. Elle avait constitué et imposé un concept national à sa politique et à sa culture. Deuxièmement, la France avait rationalisé et transformé l'apprentissage de l'Architecture en un enseignement de l'Histoire... En 1968, l'École éclate et on fait le grand amalgame contestataire où "Maîtrise" et "Autorité" se confondent. Ce qui fait que pour s'emparer de l'"Autorité" on vide l'École de la "Maîtrise", et dorénavant, plus personne ne sait rien du tout. C'est un grand chaos, très sympathique par ailleurs, à tous les points de vue: politique, sociologique, intellectuel, libertaire.. Mais, il n'y a plus de formation architecturale à l'École. Plus de Raison, plus de Progrès... A un moment donné, il a fallu prendre une certaine distance par rapport à cette situation, pour être capables de revenir en force avec un enseignement de l'Architecture... Une des bases de notre réflexion, c'est l'influence très forte de la pensée théorique italienne et des analyses critiques qu'elle a permises: l'École de Milan, Ernesto Rogers, la revue "Casabella", et des gens comme Gregotti, Rossi, Aymonino. Cette influence est surtout communiquée avec des projets, des projets et des projets... Pas nécessairement réalisés, mais au moins discutés, analysés et tout cela dans la tradition européenne des échanges entre l'Italie et la France. Il fallait tout d'abord lutter contre le refus de vouloir faire un projet car cela était vu comme compromettant, impur et puis l'ancienne École ne produisait-elle pas que des projets? Il fallait montrer que ces projets-là étaient sans idée, sans idéologie, sans rien. Il fallait repartir sur des bases totalement nouvelles, et les bases totalement nouvelles, c'était revenir aux années 1920 et 1930 quand tout cela a commencé, sans pour autant prendre cette attitude intégratrice du "Bauhaus" qui cherchait alors à s'allier à l'industrie pour produire de l'architecture. De tout cela on a conservé l'espace moderne dans ce qu'il a de plus difficile, c'est à dire son côté non maîtrisable, que l'on ne peut pas cerner avec des règles, enfermer dans un traité. Nous nous sommes proposés d'avoir une compétence comparable à celles des périodes précédentes, mais avec pour objet un espace qui par sa nature même ne pouvait se laisser codifier... Cette position était suffisamment ouverte, voire impossible, mais c'était en même temps pour nous, la garantie que nous étions sur la bonne voie; parce que nous ne voulions pas non plus devenir des doctrinaires après un certain nombre d'années, et nous retrouver dans un cul-de-sac. On a pris au départ, à la fois par facilité, mais aussi parce qu'on y adhérait, la définition que donne Henri Lefebvre de l'espace moderne: un espace "homogène" et "brisé". Homogène parce que pareil partout, et brisé parce qu'il se vend en petites parties. Il s'achète, il se troque. Il n'a plus de valeur autre que sa valeur marchande pour définir son statut. A partir de de moment-là, on décide que face à un tel espace homogène pouvant se parcelliser, il faut pouvoir se donner les moyens de le qualifier car c'est la seule voie qui permet de lui affecter une valeur autre, pour qu'il cesse d'être vendu et revendu, pour qu'il ait le droit à la Permanence. Le droit à la Permanence, c'est une qualification. Nous pensons que cette qualification ne pouvait être qu'architecturale dans le sens où cela s'applique à la double pertinence du produit et de l'usage. Ceci explique que notre activité pédagogique porte d'un côté sur un travail très théorique ayant pour objet l'espace lui-même et ses modes opératoires, et, d'un autre côté, un travail pratique sur l'influence réciproque des formes et des pratiques sociales. Ceci veut dire que nous ne décollons jamais de la réalité, bien que nous  séparions clairement les deux objets. Cela se traduit dans l'enseignement par une première partie plutôt abstraite où l'accent est mis sur l'apprentissage d'un mode de penser qui traite des grandes familles projectuelles, du particulier au général et du général au particulier. Puis, ensuite, petit à petit, nous introduisons des facteurs concrets par une partie qui porte sur les usages et leurs complexités, et le tout se termine par la pièce urbaine

 La pièce urbaine est une notion qui semble constituer pour vous le point de rencontre du mouvement moderne avec la Ville et avec l'Histoire. Je crois que vous devriez définir un peu plus ce que vous entendez par pièce urbaine;

D'une manière simple, on peut dire que la pièce urbaine représenta aujourd'hui la limite de l'Utopie. On ne croit plus à la Ville comme un élément pouvant être dessiné de toute pièce, d'une seul coup et dans sa totalité... ( ) Au contraire, tout nous fait penses que c'est plutôt la consolidation des fragments autonomes qui constitue la démarche la plus positive. Le principe d'une pièce urbaine, c'est de s'inscrire dans son milieu sans produire de gêne... ( ) En tant que projet d'un secteur de la Ville, ce projet se dégage des règles de la Ville et soulage celle-ci de la responsabilité de ce secteur... ( ) Ceci n'a rien à voir avec la définition de Rossi, ou la Ville est vue comme un ensemble d'architectures et où il faut découvrir chacune d'entre elles, quelles qu'elles soient. Cela n'a rien à voir non plus avec la Ville par parties d'Aymonino où il y a des ensembles homogène générant une force d'interaction à l'intérieur de la Ville. Cela n'a absolument rien à voir avec la conception de Colin Rowe où la Ville est vue comme un collage et cela n'a surement rien à voir... ( ) avec l'attitude typologique et morphologique. Ce qui ne veut pas dire pour notre part qu'il n'y ait pas d'études typologiques et morphologiques à faire. Mais nous disons, et c'est cela qui est important, que notre intervention est une intervention "Kangourou", c'est à dire que chaque construction apporte un espace capable d'être public. Cet espace n'est pas public par essence, car il doit satisfaire avant tout les habitants à qui s'adresse le programme, mais cet espace aura la capacité de s'installer dans la Ville comme un lieu ouvert et public... ( ) S'il y a une référence historique pour la pièce urbaine, celle-ci se rapporte plus au Hof viennois qu'à autre chose... ( ) D'ailleurs, c'est souvent un espace clos et qui s'ouvre plutôt que l'inverse. 

 On a l'impression que l'enseignement projectuel du groupe UNO est à la fois formel et social. La place qu'y occupent les connaissances technologiques apparaît faible. Comment ceci est-il reçu par le milieu professionnel en France, et comment parvenez-vous à tenir vos distances vis-à-vis les post-modernes chez qui la préoccupation formelle est très forte?

C'est là un grave problème. J'ai bien dit au début que ce qui était important c'est de savoir à qui on enseigne. Ce sont les Français. Donc, il faut tenir compte du grand mythe, du grand complexe des architectes français qui est celui de croire qu'ils ne savent pas construire, ce qui conduit à un respect exagéré de l'ingénieur. Ceci est culturel! Ce qui fait que si on offrait un enseignement totalement abstrait par exemple, cela risquerait d'être mal ressenti, incomplet, boiteux. Donc, malgré le fait que notre préoccupation soit uniquement projectuelle, parce que c'est là où ça pêche partout dans le monde --ce n'est pas un problème spécifiquement français-- on traite uniquement du logement et dans le cadre de son mode de production en France. Je dis que l'on traite uniquement du logement parce que celui-ci est d'une certaine manière la brique de base du travail de la pièce urbaine. Il faut qu'il puisse être travaillé par les étudiants comme des mots qui pourront faire une phrase. Et ces mots-là, il faut en avoir une réalité un peu plus consciente, sinon on risquerait de former des gens insensibles aux dimensions sociales de leur pratique, tandis qu'il y a quand même à la base de notre projet pédagogique une idéologie sociale à laquelle nous sommes attachés. Ainsi, pendant la période post-moderniste en France, qui est finie, on a pu résister parce qu'on était structuré autour du modernisme non pas comme un style, mais comme un contexte social, comme une pensée sociale, comme une philosophie. On a pu résister et même gagner. On les a en fait écrasés en tant que mouvement cherchant à s'inscrire dans la réalité, et ce qui reste des post-modernistes, c'est ce qui reste dans toute société qui a ses ranges résiduelles. En fait, ce qui reste du post-modernisme c'est un résidu libertaire; même aujourd'hui, visitant certaines écoles qui viennent d'être construites, tu verras ça et là, à gauche, à droite, quelques petits potelets, des colonnes, des frises, des frontons et autres machins, mais dans la mesure où cela représente 15 à 20% de la production de l'objet, c'est sans importance. Par contre, les anciens professionnels on repris du poil de la bête et ils reviennent en force avec toute leur production productiviste, ce qui nous pose le problème de ne pas nous laisser récupérer; car ce sont les anciens qui avaient, eux, perverti le mouvement moderne en l'orientant et en le transformant en une activité tournée essentiellement vers le profit. C'était un danger que de nous retrouver à fournir des arguments aux anciens patrons et qu'ils profitent ainsi de cette période d'incohérence pour s'offrir une seconde jeunesse. On a résisté là aussi, et on a pu le faire en tenant un discours très fort autour de la rigueur, du travail, du sérieux, disons en faisant du travail architectural une mission et pas un métier, en le transformant presque en fait religieux. Ils n'ont pas pu nous suivre sur ce terrain. Par contre, je me retrouve aujourd'hui en France avec une image d'architecte cubique, qui ne fait pas de compromis ni de concession, qui n'entreprend pas un concours pour s'amuser pendant quinze jours, qui refuse de prendre plus d'affaires qu'il ne peut en assumer lui-même; en même temps, il a donc fallu aussi se poser en modèle.

Un des thèmes qui ont dominé les années 1960-1970 c'est la participation comme lieu et moyen de légitimité de l'expertise sociale de l'architecte. Et ceci se retrouvait autant dans les courants populistes que pseudo-scientifiques. A la limite, ce thème est encore présent dans les débats sur une architecture publique. Voyez-vous dans cette préoccupation une dimension importante des changements qui touchent à l'exercice de la pratique architecturale? 

Bon, je pense qu'on n'en est pas là. Je crois que faire travailler les usagers suppose que l'éducation nationale a tenu compte de cette éventualité et que dans l'école on a formé les élèves et les étudiants à une conscience citadine et urbaine. A ce moment-là, face à une pression réelle et pas inventée, il faut considérer ce problème. Mais un petit groupe de trente personnes qui s'ennuient dans leur métier, et, parce qu'ils ont du temps en trop, se préoccupent de se monter leur maison, je ne trouve pas que ce soit un mouvement. Si le mouvement est assuré par la société toute entière, et dans ce cas-là on dit et on écrit dans les textes scolaires que l'environnement appartient aux usagers, il y a une véritable démarche. Mais pour l'instant tous les mouvements participationnistes ont été inventés par l'architecte, donc que l'on ne me raconte pas d'histoires. Je ne connais pas un mouvement qui soit allé chercher un architecte pour faire, que cet architecte ait réfléchi ou ait été surpris par avènement d'une nouvelle sensibilité et qu'il se soit mis à travailler. Faux! Il y a des gens, quand ils montent dans un train, ils ne peuvent pas faire trente kilomètres sans causer avec tous les gens qui sont dans le compartiment. Il y a des architectes qui n'arrivent pas à trouver une idée architecturale s'ils ne causent pas avec dix personnes. Ça ne veut pas dire qu'ils sont plus participationnistes qu'avant. De toutes façons, la France est un pays tellement sur-organisé qu'on est forcé de rencontrer entre 80 et 100 personnes avec lesquelles on doit parler et expliquer le projet, les convaincre, les faire participer et tout... pour dire qu'en France, rien ne se fait sans participation.

J'aimerais revenir sur la situation française. Pensez-vous que l'on peut parler d'une nouvelle architecture française?

Je ne crois pas qu'on puisse dire aujourd'hui qu'il existe une nouvelle architecture française; En France, depuis plus de dix ans, après les changements de mai 1968, il y a une nouvelle pensée architecturale. Mais les nouveaux architectes sont en train de sortir. Comme d'habitude, parce que le milieu est hostile, ils ont de la difficulté à percer. On peut considérer que toutes unités pédagogiques confondues, tous professeurs et étudiants confondus, on met sur le marché une dizaine d'architectes par an et ça c'est même très optimiste, une dizaine d'architectes capables de porter une réalisation, capables de mener à bien la concrétisation de tout l'effort mené par une vingtaine d'enseignants qui ont tout changé. C'est très peu pour une France de 15 000 architectes. Cette nouvelle architecture n'arrive pas à percer. Pour l'instant, on assiste à une élévation du niveau de la réflexion et cela se voit chez les décideurs en ce qui concerne ce qu'il faut faire pour les villes. C'est à dire que les historicistes ont été récupérés pour légitimer une tendance plutôt immobiliste, les post-modernistes ont été récupérés pour nourrir une tendance vernaculaire et quant aux modernes, ils ont été récupérés pour donner une allure actuelle à des projets qui ne sont plus très actuels. C'est ça la réalité française. Mais je dirais cependant que chaque fois qu'il y a une dizaine d'architectes de qualité qui peuvent fonctionner en France, j'ai alors la possibilité de faire un meilleur bâtiment. C'est ça le principe. Le principe c'est qu'il faut un milieu pour qu'il y ait une architecture.

Finalement 1968 représente un gain important pour l'éducation architecturale, puisqu'il se traduit par des attitudes nouvelles. Qu'est-ce qui caractérise ces attitudes et quels seront leurs effets dans l'avenir, selon vous?

Nous disons qu'il faut former des architectes conscients du fait qu'ils projettent et on considère qu'il n'y a pas d'architecture s'il n'y a pas de projet. Savoir qu'on projette est u ne conscience qu'un architecte contemporain doit avoir, comme dans les années 1920-1930, ce qui était important c'était de défendre une nouvelle société pour faire de l'architecture moderne. C'est ce qui a conduit à un lexique, puis plus tard à un style international qui véhiculait justement cette idée de nouvelle société. Avec cela on a fait ensuite de véritables assassinats de profits, des immondices construits que je ne suis pas prêt à assumer. Ceci est clair. Je ne protège et n'assume personne; parce qu'il est vrai qua la nullité qui a découlé de cette volonté de standardiser et de distribuer un logement propre à tout le monde passait nécessairement par l'élimination du superflu. On a fait alors totalement disparaître l'émotion. En essayant d'enlever le superflu au sens le plus bête, on a éliminé même l'émotion. Et l'émotion est inséparable de l'architecture car sans cela on est coincé. Le Corbusier en a bien fait la démonstration lorsqu'il se réfère à l'architecture grecque et à Phidias. Donc, former un architecte aujourd'hui, c'est l'amener à être conscient que projeter est une activité consciente. C'est cela le gain de 1968. C'est à dire que depuis mai 1968, la seule différence en France, fondamentale, culturelle, irréversible, incontournable, c'est que l'architecte réfléchit... ( ) prenons par exemple le courant historiciste. Pour eux, réfléchir signifie avoir un savoir et après pouvoir l'utiliser par la répétition ou l'imitation comme mode de production et on va jusqu'aux excès des urbanistes belges...

Ne devraient-ils pas plutôt s'en tenir au Savoir sur l'architecture, c'est à dire à l'Histoire plutôt qu'à la pratique architecturale?

Mais si tu leur poses la question, ils te répondront qu'ils réfléchissent. Disons que je ne me retrouve pas dans leur démarche mais je crois que dans une société qui se donne comme pluraliste il faut accepter qu'ils puissent défendre leur point. De plus, il faut bien leur reconnaître qu'en Europe ce sont eux qui ont donné au contextualisme ses lettres de noblesse. Finalement, le problème des historicistes, c'est que n'étant pas des créateurs, la création n'étant pas leur problème, quant ils voulaient expliquer pourquoi telle situation n'allait pas, il était plus facile de le faire avec un exemple historique pour illustrer ce qu'ils voulaient démontrer dans leurs analyses. Le problème c'est que l'on est entouré de médiocres et les médiocres" ont tous pris ça comme étant la solution à adopter. Ils se sont contentés d'emprunter directement à l'Histoire leurs propositions. Mais l'objectif de ces hommes de réflexion a été de nous rendre sensibles au contexte et à l'Histoire et là-dessus je crois qu'ils ont parfaitement réussi. Si on regarde le courant productiviste on s'aperçoit que "les technos" en France ont un grand problème. C'est qu'ici la technique n'est damais donnée à la responsabilité de l'architecte, elle se présente toujours comme un mode de production imposé. Cette situation est très différente de celle qui existe par exemple en Angleterre. Venons-en au troisième courant au sein duquel on se situe. C'est celui qui se définit comme contemporain, c'est à dire qui se caractérise par le fait de prendre des programmes dans un espace qu'on considère moderne. Là, il faut distinguer. Il y a d'abord les anciens professionnels qui étaient nés dans le climat d'espoir de la nouvelle société et qui en ont gardé ce œil nostalgique, beau et honnête de l'architecte professionnel qui exécute  un travail bien fait, mais qui aussi commencent petit à petit à assimiler la dimension de la réflexion. En fait, ces grands professionnels ont ralenti un peu car ils ne possèdent plus entièrement la Commande et ils se sont laissés un peu influencer par la réflexion des plus jeunes. Ceux-là, ayant maintenant accès à la Commande, s'aperçoivent que c'est plus facile de dessiner que de construire et ils en viennent à respecter un peu plus les anciens professionnels. On peut donc envisager une jonction entre ces deux couches d'âges et de formations différentes. C'est à ce moment-là qu'on pourra vraiment parles d'une nouvelle architecture française. Pour l'instant, on n'en est pas encore là, cette jonction ne s'est pas faite ou du moins c'est très partiel. On dit: l'Architecture en France est en progrès; mais on continue à faire des préfectures immondes. Disons qu'on ne les a pas ces commandes-là...

On a une image un peu déformée de UNO. On serait tenté d'y voir une approche très collectiviste, voire dogmatique, de l'encadrement des étudiants. En fait, j'ai pu constater par moi-même, que c'est plutôt le contraire. Votre enseignement est très orienté vers les individus, et leur autonomie intellectuelle est constamment sollicitée. Il me semblerait important que vous nous décriviez un peu la nature du rapport pédagogique que vous cherchez à développer.

Ayant été moi-même étudiant avec tous les défauts imaginables, ma première attitude en tant qu'enseignant c'est d'analyser et de comprendre ces défauts. Et il devient alors possible de les exacerber pour rendre les étudiants plus performants. Ces défauts, ce sont en général: égocentrisme, la cruauté, la concurrence, bref, toutes ces valeurs que la société décrie, nous, on les utilise pour faire travailler les étudiants. Un étudiant pour nous, ce n'est pas un numéro. Il faut connaître son nom, il faut l'identifier. Un étudiant travaillera dans la mesure où son travail sera identifié. Un étudiant qui est un numéro ne travaille pas, ou ne travaille pas autant qu'on le lui demande. Nos étudiants travaillent facilement, deux ou trois fois plus que la moyenne nationale. Je considère que la seule chose qu'un étudiant apporte lorsqu'il rentre dans une école, c'est sa motivation et sa capacité à travailler. L'objectif de toute pédagogie, c'est de faire que l'étudiant soit surpris par son travail, c'est à dire qu'il se surprenne par quelque chose qu'il a fait et qu'il ne soupçonnait pas qu'il serait capable de faire par lui-même. C'est ça l'histoire d'un atelier: c'est porter un étudiant au maximum de ses possibilités. Je dirais donc d'une manière un peu cynique, qu'il faut puiser dans les facteurs un peu pourris de l'étudiant pour le placer dans cette situation. Par exemple, on secrète très favorablement la concurrence, sans le dire, mais en disant à chacun que par rapport à lui-même il n'est pas au plus fort. On favorise aussi quelqu'un qui est faible mais qui fait subitement un progrès, en le signalant au groupe comme étant le meilleur. En résumé, tout un système de stimulations individuelles qui s'appuie sue le dessin. C'est à dire que l'on fait tout pour qu'un étudiant puisse regarder un dessin collé au mur pendant trois heures. Et pour qu'il soit capable de regarder un dessin à lui, pendant trois heures, il faut qu'il y ait beaucoup de travail fait. Il faut passer par là car on sait que l'Architecture n'est plus une valeur de société même si on se demande parfois si elle le fût jamais. Mais disons que l'on a pour nous une image où cette valeur perdure. L'architecte est quelqu'un qui va être confronté pendant le reste de sa vie avec un travail qui ne sera pas apprécié par d'autres que ceux qui appartiennent à son milieu architectural proche, et pas du tout par la société, ni par les clients, ni par les gouvernements, ni par les commanditaires, par personne, rien...   Donc, il faut que l'architecte puisse trouver dans son travail un plaisir suffisant lui permettant d'avoir son autonomie. Ou bien il trouvera du plaisir uniquement dans l'utilisation restreinte des moyens de la production de l'architecture, par exemple, dans le dessin, ou bien il sera incapable de continuer. Il se fera laminer par la société. C'est donc une manière de le protéger pour le futur. C'est u ne manière aussi de lui permettre de lutter contre le chômage, parce que, déjà, il faut le noter, nos étudiants sont les plus cotés sur le marché du travail. Ils servent... ( )

On peut sans aucun doute dire que les étudiants sont une des composantes essentielles du milieu architectural pour en assurer sa transformation réelle. Votre position ici est très claire. Vous défendez la formation d'une élite...

Élite? oui! Tant qu'il n'y a pas de jonction, tant qu'il n'y a pas de milieu architectural, de qualité architecturale moyenne, tu es forcé de former une élite. C'est ça qui constitue le meilleure attitude sociale, ce n'est pas de rabaisser tout le monde au plus bas niveau pour que tout le monde soit pareil, non! c'est de lâcher une élite qui fera que tout le monde monte d'un cran, d'accord, c'est ça la position.

Mais cette position n'est-elle pas contradictoire avec l'accessibilité à l'enseignement et le refus d'une sélection arbitraire.

Oui! Justement! Mais nous n'hésitions pas à nous sacrifier physiquement. C'est à dire qu'on veut créer une élite, mais dans la limite extrême de nos possibilités physiques. On ne fait pas de sélection à l'entrée. On traite tous les candidats de façon égale. On ne choisit pas. On les prend comme ils sont et on accepte le maximum. Pour l'instant, c'est la jalousie d'autres enseignants autour de nous qui fait le barrage, parce qu'il ne veulent pas recevoir plus d'étudiants chez eux. Mais ça ne nous empêche pas d'avoir monté des studios de plus de 50 personnes. Ce qui est beaucoup quand on essaie de garder des contacts individuels.

Si tout le monde peut rentrer, cela signifie-t-il que tout le monde peut sortir? Il y a en fait une sélection qui doit se faire quelque part?

Nous ne sommes pas dupes. Bien sûr, il  y a une sélection, mais c'est la bonne! Chacun sait que lorsqu'il rentre chez nous, il en a pour sept ou huit ans d'études. C'est très rare de trouver un étudiant qui fait un parcours sans faute et qui sort au bout de cinq ans et demi. Ceci n'est pas vrai. Donc, un étudiant sait qu'il devra rester un certain temps. Du moins s'il ne le sait pas tout de suite, il va l'apprendre vite. De plus, c'est un gros travail, un "boulot" qui l'attend. Pour y faire face, il va devoir se mettre en cause. Il ne sortira plus le dimanche. Sa vie va changer. Donc, ou bien il trouve et ça passe, ou bien il craque. C'est ça la sélection. On ne trouve pas chez nous quelqu'un qui viendrait étudier l'architecture simplement pour la raison que son père aurait déjà un cabinet d'architecte. Cet étudiant-là ne vient pas chez nous. Il y a donc en effet une sélection. En plus, cette sélection s'appuie sur une image. C'est pour cela que je dis qu'on utilise toutes les images, même un peu mauvaises, pas trop démocratique, mais on le fait exprès, on en est totalement conscients. Tout le monde sait que UNO c'est le seul groupe identifié en France, un groupe où il se passe des choses, une aventure, et où le produit est reconnaissable. Face à cela, il y a une espèce d'attente, une demande. Les étudiants qui arrivent là croient, au début, qu'il suffit d'être là pour devenir "membres", mais très vite ils s'aperçoivent que ce n'est pas un "club", mais que c'est plutôt une "galère" où il faut vraiment ramer pour avancer. Et donc tous ceux qui décident de continuer sont des gens extrêmement motivés. Cela se voit dans le fait qu'on a accueilli cette année 50% d'étudiants en transfert par rapport à 50% d'étudiants qui étaient rentrés directement à UP8 sans trop savoir ce qu'il y avait --disons le parcours classique. Maintenant nous avons autant d'étudiants qui viennent de l'extérieur, d'autres écoles, d'autres pays même. Et venir de l'extérieur pour un étudiant, cela signifie qu'il va accepter de perdre un ou deux ans puisqu'on le rétrocède pour le ramener à la base de notre formation. Ceci explique que nous bénéficions d'un enthousiasme et d'une motivation très élevés. De ce point de vue, nous avons réuni les meilleures conditions psychologiques. Ici les étudiants produisent, et ils ont réellement conscience que la nouvelle architecture française dépend d'eux.

Vous êtes un architecte qui est maintenant reconnu pour la qualité de vos réalisations et aussi pour vos positions. Vous êtes sollicité un peu partout à travers le monde et on se demande si l'architecte ne prend pas plus d'importance que l'enseignant qu'on a un peu tendance à oublier. Qu'en est-il réellement pour vous, de votre rôle dans cette nouvelle architecture française?

Bien que je bénéficie aujourd'hui comme architecte d'une image favorable au plan international, ce en quoi je joue un rôle que je considère important en France, c'est en tant qu'enseignant. Cela m'assure d'une certaine manière un petit matelas, une relève pour le futur au point de vue de l'Architecture. Chose que je ne peux pas dire pour le reste du monde. Et puis dans une société où maintenant on voit la jeunesse qui ne trouve plus rien pour se motiver, être entouré de jeunes, intéressés, enthousiastes et motivés, ça c'est beaucoup! c'est immense! Oui, l'enseignement c'est important pour moi. Sans cela, il y a des moments où je ne pourrais pas tenir le coup.


Cet entretien fut publié dans le numéro d'Avril 1985 de la revue A R Q, Architecture Québec, première partie de la série "L'ÉDUCATION EN ARCHITECTURE ET EN DESIGN"

L'HOMME À PIED est-il un PROGRAMME ?

En perdant sa complexité, l'architecture a cessé d'être le support de l'animation urbaine. Par "ECONOMIE" les "enveloppes bâtiments" se simplifient à l'extrême et ce dénuement transforme en conflit le rapport dialectique du plein et du vide.

Les façades (surfaces de contact) étaient jusqu'alors des éléments d'espace et de TRANSITION: elle sont aujourd'hui d'arides frontières.

Intérieur (espace fonction) extérieur (espace relation) s'affrontent violemment sans se recouvrir.

Victime de cet appauvrissement, le piéton subit l'agressive opposition des composantes de l'espace. Il se heurte sans cesse aux parois d'architecture programmées pour elles-mêmes et qui l'ignorent totalement.

La ville contemporaine n'est plus un corps unitaire.


Le cloisonnement des fonctions urbaines encouragé par le découpage juridique et foncier émiette les composantes de la ville.Les architectures d'architectes se juxtaposent. Cette fragmentation est encore accusée par les jeux des prospects : interprétation administrative des données écologiques (lumière, vent, etc.).   L'apparition d"espaces libres" hors d'échelle contribue à distendre au point de disloquer les relations du plein et du vide. Pour répondre à cette désintégration des fonctions et de l'espace "le paysagiste" réhabilite le vieux mythe de l'espace vert ou parsème les fétiches de la ville ancienne sans comprendre qu'il y avait alors entre l'architecture et la rue une homogénéité de programme et de style qui liait étroitement l'un à l'autre et faisait de l'un le support de l'autre.

 

Pour situer le "CORRECTEUR" au-delà de sa traduction actuelle et pour comprendre la place que nous entendons lui donner dans son contexte opérationnel, il faut le replacer dans le cadre chronologique d'une étude qui ne le considère pas comme un aboutissement. Toutes les propositions montrées ici tentent une parade à l'agressivité architecturale, a la mono-fonctionnalité des enveloppes construites, d'où la notion de "correcteur". Elles s'inscrivent toutes dans un processus économique qui provoque un urbanisme cloisonné (non intégré). Il faut donc s'appliquer à ne pas dissocier les phases de cette recherche pour plaquer l'une ou l'autre solution sur un cadre préétabli, mais voir qu'elles conduisent invariablement à déborder les cadres rigides de l'espace libre. La phase ultime de cette recherche serait de redonner la continuité à tout l'espace urbain en remodelant les programmes et les formes. "L'ARCHITECTURE" DE LA VILLE RESTE A FAIRE.

                 

La ville devrait être un ensemble complexe où les pleins et les vides ne seraient que les extrémités d'une chaîne continue de stations-relations : continuité des programmes, continuité des espaces; ces critères sont bien entendu inconcevables dans la politique actuelle des zoning. Les éléments proposés sont préparatoires au fait architectural. Ils tentent de retrouver le support perdu, de conquérir une échelle suffisante pour "ACCÉDER" à l'architecture. Ils sont dans une première étape les supports d'un programme simple où la fonction est explicite. Ils surpassent déjà par leur taille.Ils regroupent autour, ou sous eux, des éléments de services (mobiliers) pour leur éviter l'insupportable concurrence d'échelle qui les subordonnent et les isolent de l'architecture.Dans une deuxième étape, ils estompent leur image fonctionnelle. Ils échappent au "DESIGN" des unités de service (groupement plus ou moins complexe de carrosseries fonctionnelles) dont l'ensemble plus cohérent que l'unité reste cependant isolé et non intégré à son contexte.

Ils créent le contexte plutôt que s'y soumettent, c’est-à-dire qu'ils composent par groupement une aire compacte où l'élément disparaît au profit d'une nappe support d'animation. Par la rotation d'un ou plusieurs de ses composants l'élément dépasse son propre espace pour contrôler un ESPACE VIRTUEL. Il joue à cet égard un rôle "correcteur". La mise au point d'un "élément correcteur" profite du champ d'expérience offert par l'ensemble de la "Défense".

Cette proposition s'intègre à la réalité d'un secteur urbain qui n'est plus à commenter et, à cet égard, le "correcteur" peut très bien s'illustrer comme le nouveau "GADGET" illusoire d'un lieu où la pratique sociale a depuis toujours disparue, et cependant…

Dans ce désert de dallage, il crée un pôle, une halte, un lieu qui regroupe et recentre pour redistribuer. Il garde toutes les affinités de l'extérieur et préfigure l'intérieur: il est PRE-ARCHITECTURAL.

Faute d'être architecture, ou partie intégrante de l'architecture, il s'en éloigne et s'individualise: c'est un élément autonome qui contrôle l'espace. Son échelle est INTERMÉDIAIRE, elle n'appartient ni au piéton qui le pénètre, ni a l'architecture qui le domine, mais à la relation des deux.

Intime et volumétriquement important, il appartient à l'échelle majeure de l'espace libre. Il dispute à l'ARBRE, dans un contexte très urbain, sa perméabilité et son ampleur.

 

Texte signé Ciriani-Corajoud-Huidobro, publié dans la revue CREE, Créations et recherches esthétiques européennes N°14 - Mars/Avril 1972

A l'époque l'association Henri Ciriani, Borja Huidobro et Michel Corajoud au sein de l'AUA, était consacrée aux études de ce qu'ils appelaient le "paysage urbain". Cette publication se rapporte au projet pour la dalle de la Défense.